Si la foire n’est pas le meilleur lieu pour découvrir la création moyen-orientale la plus audacieuse, elle est devenue le rendez-vous incontournable de Libanais épuisés par les conflits dans la région.
BEYROUTH - Septembre 2013, Beirut Art Fair se déroule dans un moment de tension maximum entre l’Occident et la Syrie de Bachar Al-Assad. Un an plus tard le contexte géopolitique a radicalement changé. L’ennemi s’appelle dorénavant l’État islamique (Daech), qui retient aussi en otage des soldats libanais et par transitivité Bachar est devenu un allié objectif de la coalition contre ces djihadistes ultra-radicaux.
La menace est plus directe encore et pourtant, contrairement à l’an dernier, il y a nettement moins d’œuvres se faisant l’écho des conflits dans la région. Le centre de Beyrouth semble vivre dans une bulle à l’écart du reste de la ville et du pays, et la foire est en symbiose avec ce microcosme. Les visiteurs étaient très nombreux le soir du vernissage et le lendemain, attirés en très grande majorité par l’aspect festif de la foire, plus que par la découverte de la création contemporaine. De sorte que la qualité des œuvres présentées était en phase avec leurs attentes : des œuvres plus décoratives qu’avant-gardistes. Et comme dans les Salons du XIXe, les visiteurs se pressaient dans les stands exposant des scènes de genre, comme les caricatures de Mohsen Abu El Azem qui se vendaient comme des petits pains à la galerie Tosh Fesch. Si le nombre de galeries est plus important que l’an dernier, près de cinquante contre une quarantaine, signe d’une bonne dynamique de la foire, la grande majorité est libanaise, présentant un sage panorama de la création dans la région. Si bien que l’exposition commerciale de multiples indiens organisée par la société de production d’événements de Fabrice Bousteau, notre confrère de Beaux-Arts Magazine, dissonait avec le reste de la foire.
Une majorité de galeries libanaises
Pour autant, à l’exception de Sfeir-Semler, qui continue à bouder la manifestation, la plupart des grandes galeries libanaises étaient présentes avec une programmation adaptée. Ainsi Agial, a préféré présenter un solo show du Libano-Sénégalais Hady Sy, qui détourne les mentions légales des paquets de cigarettes pour rappeler un récent chagrin amoureux dans une veine très pop art. Son directeur Saleh M. Barakat a réservé pour sa galerie dans le quartier cosmopolite de Beyrouth la série « En transit » de l’Arménienne Tanbak (née en 1954) qui symbolise les camps de réfugiés syriens au Liban, sous forme de petits cubes blancs assemblés avec des matériaux de récupération, d’une justesse de ton entre littéralité et abstraction. La galerie de la famille Guiragossian préférait cette année réserver tout son stand aux travaux sur papier du fils (Jean Paul), laissant la galerie historique de Beyrouth, la galerie Janine Rubeiz présenter une œuvre du père (Paul) qui voisinait avec des créations d’artistes locaux (Jamil Molaeb, Bassam Geitani) qui mériteraient plus de place. La Singapourienne Sana Gallery, tête de pont de la nouvelle foire de Singapour qui se tiendra en novembre prochain (et organisée par Laure d’Hauteville propriétaire de la foire libanaise) présentait des clichés des anciens photographes de guerre Jack Dabaghian et Roger Moukarzel. Ayant tourné la page de la guerre civile libanaise, le premier expose des portraits de nomades éthiopiens, tandis que le second file la métaphore de la mondialisation. Au fond, ce n’est pas tant la guerre toute proche qui pénalise le plus les riches libanais, mais bien la désorganisation de l’EDF local qui entraîne de nombreuses coupures d’électricité. « C’est pour cela que je ne peux pas acheter d’œuvres d’art contemporain utilisant le néon », blague l’avocat d’affaires Tarek Nahas qui est en train de constituer l’une des plus belles collections de photographie contemporaine du Liban.
Beyrouth n’a pas de musée d’art contemporain et le Musée d’art moderne Sursock, en plein travaux n’ouvrira pas avant l’an prochain… Inch Allah (si Dieu le veut) ! Sans attendre la floraison de musées privés qui sont prévus ces prochaines années, les Beyrouthins disposent déjà de trois centres d’art qui offrent une programmation exigeante. Le Beirut exhibition center, à deux pas de la foire, présente actuellement une rétrospective de Michel Basbous (1921-1981), grande figure de l’art moderne libanais au croisement du cubisme et de Zadkine. Le Beirut art center a, lui, investi un bâtiment dans une zone industrielle en cours de transformation, pour sensibiliser les Libanais à l’art contemporain local et international. Giuseppe Penone occupe en ce moment les espaces très « white cube » du lieu. Enfin juste à côté, Nabil Canaan a ouvert il y a un an Station, un lieu plus expérimental qui expose jusqu’en octobre la série photographique de Frank Perrin sur Cinecitta.
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La très festive Beirut Art Fair
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : La très festive Beirut Art Fair