Restituée en décembre à l’ambassadeur de Côte-d’Ivoire en France par le marchand d’art contemporain Pierre Nahon, une statue Bété-Gouro qui avait disparu du musée d’Abidjan se trouve au cœur d’une procédure intentée par le galeriste au commissaire-priseur, Me Guy Loudmer. Au-delà du remboursement qu’il réclame et des responsabilités engagées dans cette affaire, existe une controverse autour du vol même de la statue.
PARIS - "S’il m’était arrivé une telle histoire comme marchand, j’aurais sorti aussitôt mon chéquier pour rembourser mon client," proteste Pierre Nahon. Le 7 février, aura lieu, au Tribunal de grande instance de Paris, une audience de procédure au cours de laquelle sera évoquée une demande d’indemnisation formulée à l’encontre du commissaire-priseur Me Guy Loudmer par le marchand d’art contemporain.
Un grand industriel
Au cœur du différend se trouve une statue Bété-Gouro de Côte-d’Ivoire, qui aurait été volée dans les collections du Musée national d’Abidjan. Lors d’une cérémonie qui s’est tenue en décembre pour marquer la restitution de l’objet, l’ambassadeur ivoirien, Eugène Aïdara, faisait remonter le vol à 1979. L’Icom (International Council of Museums), en revanche, situe la disparition en 1970, au cours d’une exposition itinérante qui a conduit la statue de Vevey, en Suisse, au Musée Voor Land en Volkenkunde, à Rotterdam.
Cette statue d’ancêtre, en bois dur, haute de 116 cm, a été officiellement rendue en décembre aux autorités ivoiriennes par Pierre Nahon (voir le JdA n° 21, janvier 1996). Munie d’un certificat d’exportation ivoirien – un faux, selon les autorités ivoiriennes actuelles –, elle avait été consignée auprès de Me Loudmer par le grand industriel et collectionneur new-yorkais d’art primitif, Marc Ginzberg. Ce dernier avait acquis l’objet auprès d’un marchand américain, Alan Brandt, qui, d’après Me Guy Loudmer, l’avait acheté dans le commerce parisien.
Me Loudmer a adjugé la statue 355 000 francs, le 29 juin 1989, à Pierre Nahon. Or, lorsque le galeriste a voulu la revendre chez le même commissaire-priseur, en décembre 1992, elle a été saisie, pendant l’exposition précédant la vente, par l’Office central pour la répression du vol d’œuvres et d’objets d’art (OCRVOOA), agissant sur plainte des autorités ivoiriennes. Averti par son avocat qu’il risquait d’être inculpé pour recel et convaincu du bien-fondé de la réclamation ivoirienne, Pierre Nahon a choisi de restituer la statue à Eugène Aïdara, ambassadeur de Côte-d’Ivoire en France, et de demander remboursement à Me Guy Loudmer.
L’ancienne administration ivoirienne
"Il est invraisemblable que je n’ai pas été remboursé dans un cas aussi simple. L’expert et le commissaire-priseur n’assument pas leur responsabilité," proteste Pierre Nahon. À cela, Pierre Amrouche, l’expert des deux ventes d’art primitif dans lesquelles figurait la statue Bété-Gouro, répond que sa responsabilité n’était engagée que pour l’authenticité et la qualité de l’objet. Marc Ginzberg, son ancien propriétaire, met en question pour sa part l’ancienne administration du musée d’Abidjan.
"J’ai acheté cette statue, à la fin des années soixante-dix ou au tout début des années quatre-vingt, auprès de l’un des meilleurs marchands de New York," nous a-t-il confié."Il m’a fourni un certificat officiel attestant que les musées de Côte-d’Ivoire en avaient autorisé l’exportation. Je crois comprendre qu’à l’époque, le musée d’Abidjan achetait et vendait assez fréquemment les objets qu’il conservait.
Je pense que l’actuelle administration a voulu changer ces pratiques, ce en quoi elle a entièrement raison. Mais elle a tort de revenir en arrière pour récupérer un objet comme elle l’a fait."
"Le dossier est clos"
"Il n’y a jamais eu de décision de justice pour statuer sur la propriété de la statue, ni sur l’existence d’un vol," nous a déclaré Me Jean-Paul Chazal, l’avocat de Me Guy Loudmer. "La statue était originaire d’une grande collection américaine, et avait été exportée légalement vers la France."
"Une plainte pour vol a été déposée en Côte-d’Ivoire le 2 décembre 1992," nous a précisé Me Laurent Simonel, du cabinet Klein Goddard associés, avocats de la Côte-d’Ivoire. "Nous sommes neutres en ce qui concerne le différend entre Monsieur Nahon et Me Loudmer. Quant à la statue, elle a disparu dans des conditions objectivement assimilables à un vol, même si le voleur n’a pas été trouvé. Une pièce appartenant à un musée national est inaliénable, il y a des inventaires, et tout d’un coup l’objet n’était plus là. Nous considérons maintenant que le dossier est clos. Le tribunal de Paris a constaté que le seul propriétaire de la statue était la République de Côte-d’Ivoire, qui l’a reprise là où elle l’a trouvée. La statue a été restituée sur la décision d’un juge français, statuant de manière non contentieuse sur l’accord intervenu entre Monsieur Nahon et la Côte-d’Ivoire."
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La statue mystérieuse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : La statue mystérieuse