La discussion par le Sénat du projet de loi sur les ventes publiques a mis – enfin ! – véritablement en route la mécanique de la réforme tant annoncée. Les sénateurs ont adopté le texte en première lecture, après avoir modifié le projet gouvernemental sur plusieurs points. L’implication de Catherine Trautmann, présente lors des débats, pourrait élargir la discussion aux questions fiscales et patrimoniales en suspens (lire page suivante l’entretien que nous a accordé la ministre de la Culture). L’Assemblée nationale examinera le texte à la rentrée.
PARIS. La très longue gestation de la réforme n’a pas créé de consensus puisque, lors du vote du Sénat, l’opposition a fait la décision, les groupes de la majorité s’abstenant. Il est vrai que plusieurs amendements des sénateurs n’avaient pas été approuvés par le gouvernement (lire l’encadré). Au-delà des péripéties du travail parlementaire, il est possible que les avatars politiques de la réforme et la versatilité des chiffres aient installé une certaine méfiance. Comme la lisibilité du texte reste insuffisante, elle rend difficile l’évaluation de l’impact des propositions parlementaires sur l’économie du projet. Dès lors, les amendements sénatoriaux ont pu inquiéter le gouvernement.
Indemnisation au choix ?
La question de l’indemnisation reste posée. Le Sénat veut indemniser “l’expropriation”, tandis que le gouvernement considère qu’il y a simplement dépréciation du droit de présentation en raison de l’harmonisation européenne. Mais le débat n’a pas permis de clarifier la portée de ces conceptions antagonistes sur la réalité de l’indemnisation. En effet, les sénateurs ont approuvé le mode d’estimation de la valeur des études sur lequel devrait être fondée l’indemnisation et n’ont modifié le calcul de l’indemnité qu’en installant un système au choix : indemnisation forfaitaire à 50 %, suivant un mode proche de celui proposé par le gouvernement, ou indemnisation à 100 % sur le préjudice réel. Cette proposition – astucieuse mais d’évaluation difficile – a sans doute le défaut d’installer des incertitudes. Au fil du temps et des évaluations erratiques du dommage supposé (de 2,3 milliards en 1997 à 800-900 millions en 1998 dans le rapport des sages, critiqué puis accepté par les commissaires-priseurs, enfin à 450 millions dans le projet actuel), la fiabilité des prétentions et des évaluations a souffert. L’indemnisation au choix semble, dans cette optique, un instrument de clarification responsabilisant les bénéficiaires. Toutefois, faute d’étude plus précise, il est possible qu’elle installe un dispositif pénalisant pour les études les plus dynamiques qui, pour toucher rapidement l’indemnisation, devront se résoudre au forfait avec abattement de 50%. Enfermés dans la logique indemnitaire et, depuis le “jack pot” de 1997, surveillés par Bruxelles qui s’opposerait à des subventions déguisées, le gouvernement et le Parlement ont une marge de manœuvre étroite.
La même incertitude marque la discussion sur la taxe permettant de financer l’indemnisation. Sur le principe, la suppression de la taxe sur les ventes s’inscrit dans le désarmement fiscal que tout le monde semble souhaiter. Mais l’imputation au budget général pourrait avoir des effets collatéraux : d’abord, elle conforterait l’interprétation d’expropriation ; d’autre part, Bercy pourrait écarter des aménagements fiscaux ultérieurs au bénéfice du marché, en estimant avoir déjà donné ; enfin, ce serait reconnaître un “droit de tirage” des commissaires-priseurs sur le budget, trop inspiré du projet d’avant dissolution et sans doute “déresponsabilisant”.
Un monopole français de l’Internet ?
Le débat sur la composition du Conseil des ventes manifeste également le doute. Dans cette optique, le désir de donner la majorité aux professionnels dans le Conseil semble inquiéter le gouvernement, peut-être méfiant sur les capacités de la profession à s’autogérer et donc peu désireux de lui confier un nouveau pouvoir réglementaire sans de solides garde-fous. La discussion sur l’extension du texte à l’Internet touche davantage l’esprit de la réforme. En prenant position contre la proposition du sénateur Gouteyron, tout en évoquant un projet en cours de préparation avec le ministère de la Justice, Catherine Trautmann a sans doute voulu éviter d’installer un monopole français de l’Internet au bénéfice des sociétés de vente. Ce faisant elle a sans doute mesuré une des questions – et des ambiguïtés centrales de la réforme : la défense du consommateur est-elle le critère central d’organisation du marché de l’art ? Sans le dire, la plupart des professionnels doutent d’une protection réglementaire qui a fait la preuve de son inefficacité sous l’empire du monopole. Paradoxalement, le Sénat en a fait la justification de sa proposition sur l’Internet, alors même qu’il allège ou supprime par ailleurs les dispositifs de régulation des pratiques commerciales inspirées de l’exemple anglo-saxon.
Le Sénat a adopté le 10 juin le texte, en première lecture, après l’avoir modifié sur plusieurs points. Le RPR, l’UDF et DL ont voté pour le projet remanié alors que le PS et le PCF se sont abstenus. Indemnisation : le texte prévoyait une indemnisation forfaitaire de 50 % de la valeur de l’office, le Sénat a opté soit pour cette possibilité, soit pour une évaluation particulière du patrimoine. Le gouvernement a annoncé un coût de 450 millions de francs globalement pour l’indemnisation ; les sénateurs ont avancé le chiffre d’environ 700 millions. Ils ont aussi prévu une indemnisation pour les salariés licenciés. Les sénateurs ont supprimé la taxe de 1 % prévue sur les ventes aux enchères publiques. Conseil des ventes : ils en ont modifié la composition, contre l’avis du gouvernement, en donnant la majorité aux représentants professionnels (6 membres au lieu de 5, auxquels s’ajoutent cinq personnes qualifiées). Ventes sur l’Internet : le Sénat a intégré au texte, contre l’avis du gouvernement, les ventes réalisées sur l’Internet, en adoptant un amendement du président de la commission des Affaires culturelles Adrien Gouteyron (RPR, Haute-Loire). “Cet amendement prévient une concurrence illégale”?, a-t-il estimé. Vente différée : les sénateurs ont allongé de 8 à 15 jours le délai dans lequel pourrait avoir lieu une vente de gré à gré d’un bien déclaré non adjugé à l’issue des enchères. Compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris : les sénateurs unanimes ont adopté un amendement du gouvernement créant une telle compagnie, afin d’éviter que la nouvelle loi “ne pénalise trop fortement les professionnels de l’Hôtel Drouot”?.
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La réforme des ventes publiques est enfin engagée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : La réforme des ventes publiques est enfin engagée