Troisième grand rendez-vous surréaliste
à la galerie Daniel Malingue avec Roberto Matta.
PARIS - Après Yves Tanguy et Max Ernst, la Galerie Malingue poursuit le grand chelem surréaliste avec l’artiste chilien Roberto Matta (1911-2002). « Homme de nulle part » voguant entre Paris et Cuba, Matta est sans doute l’un des premiers artistes « mondialistes », à la croisée des mouvements du milieu du XXe siècle. « La question n’est pas : être ou ne pas être. Elle est : naître de quelque chose tout en donnant naissance à quelque chose. Ce n’est pas créer, c’est procréer, générer », disait-il. À l’aune de cette citation, le premier titre choisi pour l’exposition, « Naître et faire éclore », soulignait le rôle catalyseur de l’artiste au sein de l’école de New York. Mais la galerie a finalement opté pour: « Matta, début d’un nouveau monde », qui rappelle incidemment « Miró. La naissance du monde ».
L’exposition brasse une cinquantaine d’œuvres, principalement sur papier, dont seule une moitié est à vendre. On repère dans l’ensemble un prêt du Centre Pompidou, Architecture Flying (1940-1941), d’autant plus remarquable que les institutions prêtent rarement au circuit marchand !
Le parcours se concentre sur la période la plus bouillonnante de l’œuvre, entre 1936 et 1944. En 1937, Matta rencontre André Breton qui l’intronise dans le cénacle surréaliste. Délaissant son diplôme d’architecture obtenu en 1933 et son « travail » chez Le Corbusier, l’artiste opte pour la peinture sous l’influence de son ami le peintre Gordon Onslow Ford. Il décline alors ses fameuses « morphologies psychologiques », paysages mentaux qui constituent la clé de son œuvre. À Elizabeth (1938), lointain cousin de l’univers halluciné de Takashi Murakami, s’impose d’entrée. Ce beau dessin aux crayons de couleurs avait été acheté chez Christie’s pour 190 000 dollars (203 126 euros) en mai 2002. « Fétichiste de l’œuvre de Duchamp », Matta participe à partir de 1938 aux manifestations du groupe surréaliste. La fille d’André Breton, Aube Ellouët, prête d’ailleurs pour la cause Cours les toutes (1938), un dessin inédit dans lequel apparaît la figure drolatique de l’Indien américain. Une image prémonitoire sans doute puisque, en 1939, Matta et Yves Tanguy embarquent pour New York. Exposé chez Julien Levy, Matta séduit vite le milieu artistique de la Grande Pomme. « L’Américain, c’est un déraciné, un peu déserteur, traître de ses origines. C’est de la somme de tout cela que va sortir peut-être une alternative à ce qu’on appelle “l’identité occidentale” », écrit un Matta tout en sentences. Le « tropicalisme » latino-américain pointe à partir d’un voyage au Mexique avec Robert Motherwell en 1941. On décèle cette veine dans une Théorie de l’arbre, présentée pour plus de 2 millions de dollars. On la retrouve aussi dans Femme jouant à la balle devant un volcan, un dessin adjugé 125 000 livres sterling (environ 168 900 euros) en février chez Sotheby’s. Vers 1943, Matta entame une série d’œuvres très sexuelles. Les Suicidés de 1943 en offrent une vision édulcorée. L’itinéraire se poursuit sur une pièce maîtresse, Le Prisonnier de lumière (1943), provenant d’une collection française. « Il n’y a plus de tableaux de cette qualité en mains privées, rappelle Olivier Malingue. William Rubin l’avait exposé en 1957 au MoMA [Museum of Modern Art] et, quand il l’a revu, il y a trois ans, il est resté une heure devant bouche bée. » Issu de la collection de Daniel Filipacchi, qui prête aussi plusieurs manuscrits, Displaced Continent (1944) dévoile un nouvel espace balafré de lignes et de plans. « Il y a derrière l’apparence une réalité qu’on pourrait peut-être appeler véritable », écrivait alors Matta. Au visiteur de la chercher.
Du 19 mai au 16 juillet, galerie Daniel Malingue, 26, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 42 66 60 33, du mardi au vendredi 10h30-12h30 et 14h30-18h30, 14h30-18h30 le lundi et le samedi.
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La réalité selon Matta
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : La réalité selon Matta