Photographie

La photo pour tous ?

Par Léa Bismuth · L'ŒIL

Le 26 avril 2012 - 811 mots

Monsieur et madame Tout-le-monde peuvent désormais s’offrir des photographies d’art à des tarifs abordables… Mais à quel prix ? Léa Bismuth

La passion pour la photographie dépasse aujourd’hui le seul milieu des collectionneurs, mais les prix sont parfois un obstacle à l’acquisition des images, et le marché de l’art reste une affaire d’initiés », explique l’un des représentants de la tendance de la photographie d’art démocratique  : Wanted Paris. Il est donc question, à travers un processus de démocratisation, de permettre à tout un chacun de devenir « collectionneur ». « Lumas a été créé afin d’offrir une alternative à ce problème et de proposer un nouvel espace pour l’art, les jeunes collectionneurs et tous les amateurs d’art », peut-on lire sur le site Internet de l’un des pionniers du genre : Lumas (quatorze galeries et un site Internet).
Mais qu’achète-t-on dans ces conditions ? L’appellation de « photographie d’art » est elle-même problématique, elle recouvre une réalité vague qui va de l’image de mode aux paysages, en passant par la photo historique. L’expression ayant ainsi tendance à se limiter à de la décoration. Comme le suggérait déjà Walter Benjamin dans sa Petite Histoire de la photographie, il s’agit d’être conscient du « danger majeur de la photographie actuelle : la tendance décorative ».

Haut de gamme et démocratique
Dès 2007, on a vu fleurir à Paris des boutiques Yellow Korner : pour dépasser la virtualité exclusive d’Internet, le public est invité à venir voir les images en magasin, dans l’un des nombreux points de vente à Paris, en province et dans de grandes villes du monde entier, ainsi que par l’intermédiaire de la Fnac, où l’entreprise a fait ses premiers pas. Définissant sa société plutôt comme un « éditeur haut de gamme et démocratique à la fois – sur le modèle de Taschen – ou comme un label de disques pour la photographie », Alexandre de Metz, l’un des deux créateurs de Yellow Korner, se distingue tout de suite d’un galeriste. Dans ce cadre, l’achat d’une photographie n’a rien de « spéculatif » et se situe davantage du côté de l’achat-plaisir et de l’art de vivre que du marché de l’art. Les images proposées sont certifiées et pour certaines numérotées, mais elles ne sont pas signées, limitant immédiatement leur force de frappe économique.
L’authentification est censée différencier l’image vendue d’une reproduction : par ce certificat, Yellow Korner assure avoir eu l’autorisation des ayants droit ou des photographes, mais stipule que les tirages ont été produits à partir des négatifs ou des fichiers numériques originaux et que la colorimétrie a été validée. Problème, une image de grand format pouvant atteindre 2 000 euros n’est pas signée pour autant.

Tendance à la catégorisation
Dans les rayonnages de ces mêmes boutiques, on trouve, par exemple, Migrant Mother (24 x 31 cm) de  Dorothea Lange pour… 69 euros, répertoriée dans la catégorie « Celebrities – History », classification large qui inclut à la fois les photographies de Man Ray et les portraits de Marilyn Monroe. Car la catégorisation pose problème : peut-on classer les images sous les thématiques « Fashion – Landscape – Urban… » en favorisant des rapprochements pas toujours pertinents ? Sur certains sites, comme jouretnuitgalerie.com, les catégories sont plus classiques (« Portrait – Nature morte – Figuratif… ») et offrent une plus grande neutralité. Cependant, dans le cadre des boutiques Yellow Korner, on observe un effort pédagogique puisque des cours sur la photographie sont organisés, menés par des spécialistes, offrant un intéressant décloisonnement des champs.
Par ailleurs, ces espaces permettent à des photographes vivants, souvent jeunes, de montrer leurs images. À ce titre, Yellow Korner reçoit environ quatre-vingt-deux candidatures par jour de photographes âgés de 25 à 35 ans. D’autres sites Internet proposent l’achat de photographies d’art réalisées par des photographes vivants, comme photo-originale.com qui a également ouvert un espace à Paris ; ou encore galerie-sakura.com qui s’adresse à des collectionneurs à la recherche de photos à tendance picturale.

Des achats plus concertés
Alors que les images les plus vendues – la rubrique « meilleures ventes » étant un passage obligé sur les sites – restent le plus souvent très « politiquement correctes » : surtout des paysages urbains ou de nature, des images de mode ou des images à tendance plus onirique ; d’autres formules existent et ressemblent davantage au modèle de la galerie d’art. Wanted Paris propose ainsi des photographies de Nan Goldin (à cent exemplaires, signées, à 3 200 euros, au format 36 x 53 cm) ou encore un Robert Capa pour… 1 500 euros. Ici, les images atteignent des prix plus élevés, mais ont une valeur d’échange du point de vue du marché de l’art. La photographie est ainsi accessible à un public d’amateurs qui souhaitent posséder une image ayant une place dans l’histoire, pas dans le marché de l’art.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : La photo pour tous ?

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