La cour d’appel de Paris a récemment confirmé sa jurisprudence ordonnant la restitution sans indemnité d’une œuvre revendiquée par l’État au nom de son appartenance au domaine public.
Paris. Inaliénables et imprescriptibles, les biens mobiliers appartenant au domaine public doivent être restitués à l’État sans indemnité, même s’ils ont été acquis de bonne foi par leurs propriétaires des années, voire des siècles après leur disparition du domaine public. La protection du domaine public mobilier impose effectivement qu’il soit dérogé à l’article 2276 du code civil selon lequel, « en fait de meubles, la possession vaut titre », car, comme le rappelait le Conseil constitutionnel en 2018, « aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit d’un tiers […], un tel bien ne [pouvant] faire l’objet d’une prescription acquisitive au profit de ses possesseurs successifs même de bonne foi » (1).
Cependant, le fait que le propriétaire de bonne foi doive restituer son bien à l’État sans indemnité, alors même qu’il espérait le conserver ou en obtenir une contrepartie financière, est souvent source de contentieux, comme l’illustrent les récentes affaires du Pleurant no 17 provenant du tombeau de Philippe II le Hardi, ou du « fragment à l’Aigle », une pierre sculptée issue de l’ancien jubé de la cathédrale de Chartres.
Dans un arrêt récent, un antiquaire a tenté toutefois de contourner ce principe en sollicitant une indemnité en réparation de son préjudice pour faute délictuelle de l’État. Il estimait que ce dernier avait failli en ne veillant pas à l’affectation de la toile litigieuse à l’utilité publique ; de sorte que, acquéreur de bonne foi, il était désormais confronté à une action en revendication pouvant conduire à la perte du tableau.
Plus précisément, il s’agissait d’une copie, réalisée par Aubert Ternus, du portrait en pied de l’empereur Napoléon III peint par Franz Xaver Winterhalter, copie acquise en 2006 pour 25 000 euros [voir ill]. Revendiquée par le ministère de la Culture comme appartenant au domaine public pour avoir été commandée au peintre par l’État pour la Ville de Thiers en 1867, cette copie fut retirée de la vente aux enchères en 2009 puis séquestrée judiciairement entre les mains du commissaire-priseur.
Assigné en revendication, l’antiquaire – qui estimait toutefois que cette copie n’était pas celle commandée par l’État et qu’aucune preuve de son affectation à l’utilité publique n’était rapportée – fut condamné en 2018 à la restituer ; sa demande d’indemnité étant rejetée.
Le 6 octobre dernier, la cour d’appel de Paris a, de même, débouté l’antiquaire de l’intégralité de ses demandes. Ainsi, pour écarter sa demande d’expertise avant dire droit, la cour a confirmé qu’il n’y avait aucun doute possible sur l’identité du tableau revendiqué. Cette copie était bien celle commandée par l’État à Aubert Ternus pour la Ville de Thiers en 1867 au vu du dossier d’achat conservé aux Archives nationales, du livre des achats ou commandes de peintures de 1860 à 1869, de l’inscription du nom du peintre sur le châssis et la traverse intérieure gauche du tableau, et de son cadre conforme à la commande faite auprès de l’encadreur à l’époque. Soulevée par l’appelant, la différence de dimension, de l’ordre de 2 cm, était non significative.
Quant à son appartenance au domaine public mobilier, elle ne saurait être remise en cause puisque la copie est inscrite sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain (Fnac). La copie étant alors un bien inaliénable et imprescriptible, l’acquisition régulière et de bonne foi de l’antiquaire ne peut être opposée à la revendication de l’État.
Enfin la cour a rejeté sa demande d’indemnité de 25 000 euros avec intérêts depuis 2006 (date d’acquisition de la copie) en réparation de son préjudice en se retranchant derrière l’autorité administrative, seule compétente pour connaître de la responsabilité de l’État en cas de dommages causés aux particuliers.
Cependant, la restitution sans indemnité interroge quant au respect d’un juste équilibre entre intérêts privés et intérêts publics. Elle peut éventuellement porter une atteinte disproportionnée au respect du droit des biens prévu à l’article 1 du protocole additionnel de la Convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales selon lequel : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international public. »
C’est d’ailleurs la question posée aux parties dans les affaires – toujours pendantes devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – du « Pleurant no 17 » et du « fragment à l’Aigle du jubé de Chartres » par la CEDH, qui, au visa de l’article susvisé et de sa jurisprudence, s’inquiète de savoir si cela ne constitue pas une charge excessive pour les requérants et interroge sur la réaction « en temps utile, de façon correcte et avec cohérence » de l’État.
(1) Décision no 2018-743 QPC du 26/10/2018 rendue dans l’affaire du « Fragment à l’Aigle du Jubé de Chartres ».
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La justice ordonne la Restitution à l’État d’un portrait de Napoléon III
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : La justice ordonne la Restitution à l’État d’un portrait de Napoléon III