Otto Kallir a fui Vienne en 1940, pour s’installer à New York. Il y a ouvert une galerie afin de sensibiliser les collectionneurs à l’art allemand et autrichien, qualifié par Hitler de « dégénéré ». Pour célébrer son soixantième anniversaire, la galerie St Etienne expose des œuvres de peintres qu’elle a défendus, tels Klimt, Kokoschka ou Schiele.
NEW YORK - L’exposition commémorative de la galerie St Etienne s’intitule “Sauvé d’Europe”. Otto Kallir, son fondateur, avait dû fuir l’Autriche nazie et abandonner sa Neue Galerie, à Vienne. Pour lancer sa jeune galerie new-yorkaise, il avait eu l’idée, il y a soixante ans, de présenter la “Peinture du mois”, qui lui permettait d’attirer les visiteurs en exposant des œuvres exceptionnelles. Le catalogue reproduit plusieurs d’entre elles, comme L’Arlésienne (1888) de Van Gogh, L’Homme aux bras croisés (1900) de Cézanne et l’Autoportrait (Yo Picasso) de Picasso prêté à la galerie par Christiane Zimmer, la fille d’Hugo von Hofmannsthal.
Des tableaux majeurs ont été obtenus en prêt pour cette exposition, tel Londres, grande vue sur la Tamise I d’Oskar Kokoschka. “C’est le premier grand tableau que mon grand-père a vendu dans ce pays, précise Jane Kallir, co-directrice de la galerie avec Hildegard Bachert, l’associée d’Otto. Et l’un des premiers Kokoschka à avoir rejoint la collection d’un musée américain [l’Albright-Knox Art Gallery, en 1941]”. Le Portrait d’un vieil homme (Johann Harms) est “le tout premier Schiele que mon grand-père a acquis lorsqu’il était encore à Vienne, avant d’en faire don au Musée Solomon R. Guggenheim pour le remercier d’avoir présenté Schiele au grand public américain”, poursuit-elle.
Otto Kallir ne s’est pas contenté de faire connaître “l’art dégénéré” sauvé d’une Europe déchirée, il a également aidé de nombreuses personnes à fuir les persécutions et, après 1945, il a participé à la recherche des œuvres d’art confisquées par le régime nazi.
Au début de sa carrière, à la galerie viennoise Würthle, Otto Kallir avait publié des éditions limitées d’estampes, dont les plus célèbres sont les premières gravures et lithographies d’Egon Schiele. Avant de fuir Vienne, la propriétaire de la galerie, Lea Bondi-Jaray, avait dû, sous la menace, les vendre au marchand nazi Friedrich Welz pour une somme dérisoire et lui donner, sans aucun dédommagement, le Portrait de Wally. Après la guerre, au lieu de réclamer officiellement la restitution du tableau, elle avait demandé à Rudolf Leopold – qui s’employait à réunir une importante collection d’œuvres de Schiele – de le récupérer pour son compte auprès de l’Österreichische Gallerie, où l’œuvre avait échoué. Mais elle a découvert plus tard dans un musée autrichien que le portrait était exposé comme appartenant de la collection Leopold et, avec l’aide d’Otto Kallir, Lea Bondi a passé le restant de sa vie à se battre pour le récupérer. “La documentation rassemblée par mon grand-père a été une preuve précieuse dans la procédure contre le MoMA [en 1998]”, souligne Jane Kallir.
Toutes ces œuvres d’art allemand et autrichien ont gagné les États-Unis par différents canaux. Certaines y ont été introduites par les réfugiés. “Hitler ayant décrété que cette forme d’art était dégénérée, elle n’avait donc pas sa place sur le marché de l’art autrichien et allemand, remarque-t-elle . C’est ainsi que des réfugiés sont arrivés ici avec des œuvres et ont posé les jalons d’un nouveau marché.” D’autres ont été confisquées à des galeries et à des particuliers juifs auxquels elles n’ont toujours pas été restituées, soixante ans plus tard.
Jusqu’au 8 janvier, Galerie St Etienne, 24 West 57th Street, New York, tél. 1 212 245 6734.
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La Galerie St Etienne fête ses soixante ans
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : « Sauvé d’Europe »