Depuis deux ans, la spéculation a gagné l’art contemporain chinois. Malgré l’arrivée de nouveaux acteurs, le nombre de vrais collectionneurs locaux n’a pas évolué.
SHANGHAI - « L’émergence d’une nation et d’un peuple est un mouvement des plus grandioses, pouvait-on lire dans le magazine chinois CI en décembre 2004. Tel un courant océanique puissant, une fois la tendance générale amorcée, elle progresse toujours de l’avant sans qu’aucun obstacle puisse l’arrêter. » Ce raisonnement vaut aussi pour le marché de l’art contemporain chinois, qui ne donne aucun signe d’essoufflement.
La spéculation et ses jeux de passe-passe épousent les méthodes éprouvées en Occident. Deux œuvres du peintre Yue Minjun, achetées en mai dernier en Chine, sont ainsi repassées à l’encan le 20 septembre chez Sotheby’s à New York. Dans la même vente, on retrouvait sept œuvres de l’artiste Zhang Xiao Gang. Une déferlante qu’explique le record de 979 200 dollars (770 000 euros) déboursés par un Chinois de Singapour pour l’un de ces tableaux en mars dernier. Fort de cet antécédent, un vendeur taiwanais en a profité pour revendre pour 884 00 dollars (695 000 euros) un tableau, acheté trois ans plus tôt 30 000 dollars (26 000 euros) à la galerie Xin Dong Cheng (Pékin). Une telle enchère semble déraisonnable, mais l’est-elle davantage que le record de 856 000 dollars (673 000 euros) pour un tableautin d’Elizabeth Peyton ? « On pense toujours que les artistes chinois doivent être bon marché », grimace Lorenz Hebling, de la galerie Shanghart (Shanghai). Le marché chinois est en surchauffe, à l’image de l’ensemble du marché de l’art contemporain. À la différence près que la hausse s’avère plus récente et rapide. « En trois ans, certains prix ont été multipliés par trente, d’autres par cinquante, commente le spécialiste Jean-Marc Decrop (galerie Loft, Paris). Lorsque nous avions montré en 2001 Liu Xiao Dong à Paris, les œuvres valaient 8 000 euros. Le 20 septembre, une toile du même format a atteint 329 600 dollars. » Un artiste contemporain chinois, Chen Danqing, a même dépassé le cap du million de dollars. Les gros prix engrangés par les bons artistes sont moins à blâmer que les pointes observées par une cohorte de peintres moyens. « J’ai revendu des choses médiocres que j’avais achetées au tout début, cinq fois le prix que je les avais payées, s’étonne Bonko Chan, vice-président de la société d’investissement China Assets.
La spéculation repose aussi bien sur la diaspora chinoise que sur les acheteurs occidentaux. En mars dernier chez Sotheby’s, un Italien a revendu 419 200 dollars (330 000 euros) une toile de Zhang Xiao Gang achetée 11 000 dollars en 2003 à la Foire de Bâle auprès de Galerie de France.
La vente de mars dernier organisée par Sotheby’s a affiché 50 % d’acheteurs américains et 50 % de Chinois, dont seulement 19 % de Chine continentale. Les Occidentaux menaient la danse dans la vacation du 20 septembre, les Chinois ne représentant que 39,6 % des acheteurs. Les Chinois continentaux ne sont pas forcément actifs lorsque les prix grimpent. Installé à Shanghai depuis moins d’un an, l’artiste Zhan Huan vend à peine 1 % de sa production sur place. De même, les transactions de son confrère Gu Wenda, dont les œuvres s’échelonnent de 40 000 à 200 000 dollars, se font majoritairement aux États-Unis. En hissant les tarifs des tableaux de Zhou Tiehai de 40 000 à 70 000 dollars, le marchand genevois Pierre Huber les vend à des collectionneurs européens et non plus chinois. Car, malgré sa forte croissance économique, la Chine joue beaucoup sur des effets de trompe-l’œil. De nombreux bâtiments issus du boom immobilier de Shanghai sont innocupés. Le système bancaire s’avère sous-performant tandis que les Bourses de Shanghai et Shenzhen ne décollent pas. D’après Bonko Chan, la surchauffe du marché de l’art a pris le relais de secteurs autrefois frénétiques comme l’immobilier ou la Bourse.
Investir dans l’art
Les acheteurs chinois ne sont ouverts à l’art de leur pays que depuis 2000. L’investissement reste d’ailleurs leur maître mot. « Pour réveiller les gens à l’art en Chine, il faut leur parler business », admet le galeriste Xin Dong Cheng. Un jugement que confirme Dai Zhikang, fondateur du groupe immobilier Zendai. « Mon premier job, c’est d’être un investisseur, a-t-il déclaré lors d’un colloque organisé en septembre par la galeriste et collectionneuse Pearl Lam à Shanghai. Je spécule à la Bourse. L’art est aussi un bon investissement. Bien sûr tout art ne peut pas être converti en business, mais par l’interaction avec la vie, l’art peut avoir des conséquences sur le business. » Son projet d’un musée de 1 400 m2 dans le quartier de Pudong à Shanghai s’intègre d’ailleurs à un complexe immobilier plus large ! Certains acheteurs commencent à taquiner de l’art occidental. En 2000, le promoteur immobilier Wen Ping a ainsi acheté une fonte du Penseur de Rodin pour 1 million de dollars (787 836 euros), tout en se constituant une collection de sculptures d’Arman. Pearl Lam s’intéresse, elle, au design d’un Martin Székély et d’un Michael Young. Bonko Chan possède quant à lui une petite collection allant de Corot à Picasso en passant par Chagall et de Chirico. « J’ai acheté des artistes étrangers car j’ai senti qu’un grand nombre des artistes chinois puisait leurs racines en Occident », indique-t-il.
Le nombre de collectionneurs se développera-t-il aussi vite que les pronostiqueurs du marché veulent bien le prétendre ? « Cela va prendre peut-être une décennie, mais ça se fera, assure Lorenzo Rudolf, ancienne éminence grise de la Foire de Bâle. Il y a en Chine un libéralisme économique, un matérialisme plus grand qu’aux États-Unis. On ne peut pas stopper la roue qui tourne. » Reste à développer un vrai connoissorship.
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La Chine est en proie à une fièvre acheteuse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : La Chine est en proie à une fièvre acheteuse