Quelques semaines avant l’ouverture, le 26 septembre à l’hôtel Dassault à Paris, du Salon international de la céramique de collection et des arts du feu, Nelly Fouchet, expert spécialisé, s’est penchée pour le Journal des Arts sur les évolutions récentes du marché de la faïence et de la porcelaine françaises. Une production qui s’adresse tout particulièrement aux collectionneurs et amateurs, et non aux spéculateurs, même si elle a toujours été considérée comme une valeur sûre.
PARIS - Le marché de la faïence française demeure franco-français. À quelques exceptions près, celle-ci est achetée par des habitants de l’Hexagone et demeure en France. Quelques pièces sont, de temps à autre, proposées dans les ventes étrangères ; mais ces faïences, rarement très belles, ont souvent des difficultés à trouver preneur.
A contrario, les faïences hollandaises de Delft (une petite vache de Delft atteint régulièrement 12 à 15 000 francs) et les majoliques italiennes (Faenza, Urbino, Deruta, Montelupo...) se vendent partout et atteignent souvent des prix record : de 15 000 francs pour les plus simples à 600 000 francs pour les plus exceptionnelles.
Le marché français propose fréquemment de très belles pièces étrangères dans ses ventes spécialisées. Si celles de Delft parviennent à entrer dans les collections françaises, il est beaucoup plus difficile d’acquérir les majoliques car le marché italien est toujours très actif même si l’on n’atteint plus les prix excessifs des années 1990.
Quimper et Longwy flambent
Si, il y a une dizaine d’années, les pièces les plus collectionnées provenaient toutes des cinq grands centres qui ont fait la renommée internationale de la faïence française au XVIIIe siècle – Rouen, Nevers, Strasbourg, Moustiers et Marseille –, depuis quelque temps déjà une évolution vers des centres moins importants, souvent d’ailleurs satellites desdites grandes fabriques, se fait jour et les prix ne cessent de monter. Témoigne de cet engouement le succès obtenu, dans l’est de la France, par les créations des fabriques des Islettes (le modèle présentant une nourrice un enfant sur les genoux dépasse facilement 10 000 francs) ou de Lunéville (les groupes de personnages sont très recherchés et se vendent entre 8 et 15 000 francs selon la rareté du modèle). Les faïences d’Aprey, dans la Meuse, sont elles aussi très appréciées (les modèles chinois ornés d’un arbre à boules trouvent acquéreur aux alentours de 5 à 7 000 francs). Celles de Samadet, dans les Landes, le sont également – elles se négocient fréquemment entre 15 et 20 000 francs chacune –, tout comme celles de Bordeaux lorsqu’elles sont exceptionnelles, telles celles du service de Cartus Burdig dont chaque assiette dépasse la fourchette des 5 à 7 000 francs, ou encore Meillonas, surtout si les décors sont attribués au peintre Protais Pidoux. Une assiette de Meillonas à décor floral se négocie entre 12 et 15 000 francs.
Deux fabriques françaises, celles de Quimper et de Longwy, connaissent un engouement qui ne cesse de croître au point d’atteindre des cotes que les spécialistes jugent quelquefois exagérées.
S’il est normal que les faïences de Quimper, rares, de qualité et réalisées à un petit nombre d’exemplaires, partent à des prix élevés, il est plus difficile d’admettre que les modèles réalisés en série obtiennent des prix quelquefois équivalents. Un certain vent de folie souffle sur le Quimper. Une assiette ornée de petits personnages bretons se vend souvent 1 500 à 1 800 francs, contre 7 à 8 000 francs pour une pièce signée Porquier Beau et 20 000 à 50 000 francs pour des créations d’artistes.
La production de Longwy a été moins touchée par ces mouvements inflationnistes. Les amateurs sont très connaisseurs et les prix les plus élevés correspondent à des œuvres exceptionnelles achetées avec discernement.
Les cinq grands centres de production français conservent néanmoins toujours la faveur des amateurs. Mais ces derniers achètent désormais avec plus de circonspection qu’auparavant, à tel point que les pièces dites moyennes partent difficilement, alors que les faïences rares s’arrachent.
Les plus prisées des productions de Rouen sont celles du XVIIe siècle, particulièrement celles qui présentent des décors à lambrequins bleus et rouges (une assiette se vend entre 15 et 25 000 francs). Les pièces ornées de “Chinois à robe noire” sont tout aussi recherchées (18 à 30 000 francs). Du côté des faïences de Nevers, le XVIIe est également le siècle le plus coté (un vase à décor dit “à la bougie” peut atteindre 10 000 francs) suivi par le XVIIIe siècle, particulièrement si la pièce remonte à la période révolutionnaire. Il en est ainsi des rares et beaux saladiers au “Pont de Nevers” qui se négocient entre 60 000 et 100 000 francs. Moustiers reste la fabrique française la plus connue. Ses décors mythologiques font toujours la joie des collectionneurs qui recherchent la perfection dans le tracé du décor et les couleurs vives et précises (prévoir 20 à 25 000 francs), tandis que les grands plats à décor dit “de chasse”, rares sur le marché, peuvent atteindre 60 000 à 80 000 francs.
Les collectionneurs de faïences de Marseille donnent toujours la préférence à la fabrique de la Veuve Perrin (il n’est pas rare qu’une assiette à décor de jeté de fleurs de cette fabrique soit proposée à 10 000 francs, voire 20 000 francs, si elle est ornée d’un paysage).
La céramique contemporaine a le vent en poupe
Les faïences fines qui illustrent le début des productions industrielles jouissent d’un intérêt croissant alors qu’elles étaient boudées il y a encore quelques années. D’où une cote ascendante. Une simple assiette à décor imprimé en faïence de Creil ou de Montereau qui se négociait encore il y a quelques années entre 200 et 400 francs en vaut aujourd’hui le double.
Une autre tendance perdure : l’engouement pour les céramiques dites impressionnistes de la fin du XIXe siècle, créées par des artistes peintres qui signaient leurs œuvres. Montigny-sur-Loing en fut le principal centre et il est à peu près certain que les prix ne cesseront de monter dans les années à venir. Actuellement, pour un vase de taille moyenne doté d’une bonne signature, il faut compter au minimum 7 000 à 12 000 francs.
La céramique contemporaine a enfin trouvé son public. Les amateurs recherchent les pièces des grands précurseurs d’avant-guerre comme Dammouse, Metthey, Lachenal, Tharaud mais aussi Picasso. Depuis quelque temps, les créations des années 1950 à nos jours sont de plus en plus demandées. L’évaluation suit la cote de l’artiste. C’est ainsi qu’une “poule blanche” de Georges Jouve en émaillé craquelé a atteint la somme étonnante de 341 000 francs.
Le marché de la porcelaine française, nettement plus international, est très différent de celui de la faïence. Il est d’ailleurs fort rare qu’un collectionneur de faïences s’intéresse aussi aux porcelaines et inversement. La production de la Manufacture de Sèvres est très prisée quel que soit son lieu de vente. Elle se place, au niveau international, au même rang que les pièces de Meissen ou les porcelaines de la Compagnie des Indes. Une belle tasse et sa soucoupe en porcelaine de Sèvres ne partent jamais à moins de 10 000 francs et une très belle pièce à moins de 200 000 francs.
Les Français préfèrent le XVIIIe siècle
L’étude des résultats des ventes françaises et étrangères montre que les collectionneurs français achètent les porcelaines de Sèvres en parfait état. Ils préfèrent la “pâte tendre” à “la pâte dure” et ont une inclination toute particulière pour les créations du XVIIIe siècle. Mais ce goût est susceptible de changer. En témoigne la vente de la collection de Martine de Cervens, organisée le 28 octobre 1999 à Paris par l’étude PIASA. Elle comprenait 137 œuvres de la Manufacture nationale de Sèvres, datant principalement des années 1880 à 1890. Le record a été obtenu par un vase monumental Ruhlmann de 52 cm qui a été adjugé 430 000 francs, triplant son estimation basse.
La porcelaine du XVIIIe siècle demeure très prisée en France, et ce, principalement, pour la pâte tendre : les pièces de la fabrique de Mennecy – dont on semble aujourd’hui découvrir les chefs-d’œuvre – autrefois catalogués de production artisanale, ont été très présentes sur le marché au cours de l’année 2000 et connaissent de ce fait une cote ascendante. Un sucrier à plateau adhérent est cédé contre 6 à 8 000 francs, un petit pot crémier à côtes spiralées entre 4 et 5 000 francs.
La porcelaine de Paris, principalement si elle est signée, avait déjà amorcé depuis cinq ans environ une ascension assez impressionnante. Celle-ci s’est confirmée et les plus belles pièces, qui peuvent parfois rivaliser avec la qualité de celles de Sèvres, ont dépassé le cadre du territoire français pour se vendre au Royaume-Uni. Il n’est pas rare que des paires de vases de très belle qualité atteignent “au marteau” 60 000 francs.
- Acheter et vendre :
Plusieurs études organisent des ventes de faïences et de porcelaine. C’est le cas des études Pescheteau-Badin, Godeau, Leroy ; PIASA ; Lafarge, Delavenne et Tajan, à Paris ; de l’étude Archambault à Vitry-le-François. Des ventes ont lieu également à Bergerac, La Rochelle, Rennes, Brest, Quimper et Abbeville.
À Paris, le Salon international de la céramique de collection et des arts du feu (du 26 au 30 septembre 2001 à l’hôtel Dassault, 7 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris, tél. : 01 45 48 46 53, tlj 11h-20h, nocturne le vendredi 28 jusqu’à 22h) présente un cycle de conférences sur la céramique, le verre ou les émaux ainsi qu’une exposition thématique.
- Expertiser :
Vincent L’Herrou (Paris) ;
tél. : 01 40 15 93 23
Jean-Gabriel Peyre (Paris) ; tél. : 01 42 61 18 77
Christian Bonnin (Béziers) ;
tél. : 04 67 28 33 50
Mais aussi Lefebvre et fils à Paris, Verlingue à Quimper et Crochat à Lyon
- Lire :
Nelly Fouchet, L’Argus des ventes aux enchères : céramique, Paris, Éditions Dorotheum, 1999. La nouvelle édition paraîtra au mois de décembre.
Jean Paul Van Lith, Dictionnaire encyclopédique de la céramique, Paris, Éditions de l’amateur, 2000.
Jacques Peiffer, L’Art des céramiques, Éditions Dessain et Tolra, 2000.
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La céramique française, une valeur sûre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : La céramique française, une valeur sûre