Crise économique, baisse du dollar, raréfaction des œuvres..., la belle Hollandaise résiste bon gré mal gré et s’adapte au marché en élargissant son spectre à l’art italien comme à l’art moderne.
« On ne vient pas là par hasard », s’accordent à penser les participants de Tefaf 2005 (International Fine Art and Antiques Fair), cet « hypermarché » de luxe pour l’art en rase campagne, fort de ses 200 antiquaires et de ses 20 000 à 30 000 œuvres exposées qui attirent chaque année pas moins 75 000 visiteurs. Après avoir essuyé le contre-coup de la guerre en Irak et de la crise euro-dollar en 2003-2004, la foire de Maastricht, l’un des rendez-vous les plus prestigieux au monde pour le commerce de l’antiquité, montrerait-elle quelques nouveaux signes de faiblesse ? Il semblerait que le secteur des tableaux anciens, particulièrement la peinture flamande et hollandaise, sur lequel elle a construit historiquement sa réputation et qui demeure l’un de ses poumons, peine à s’étoffer d’une année sur l’autre. L’an dernier déjà, nombre d’exposants arboraient sans vergogne de nombreuses toiles décrochées hâtivement à la faveur des ventes publiques de Londres et de New York. À quelques semaines de l’édition 2005, les marchands sont peu enclins à dévoiler leurs chefs-d’œuvre ; auront-ils fait le plein à l’ouverture ? Certes, on ne sort pas un Rembrandt ou un Rubens tous les jours. Mais si le marché de la peinture ancienne se raréfie, la demande reste insatiable. La collection de toiles de maîtres anciens du Detroit Institute of Arts accueillie exceptionnellement au sein du salon (lire p. 22) pourrait donner le change bien que l’événement ne soit pas commercial. Fait incontestable, les rares trésors de la peinture ancienne intègrent chaque année un peu plus les musées. Sentant le vent venir, les organisateurs de Tefaf ouvrent depuis peu leur foire à des marchands qui n’y auraient pas eu leur place il y a une quinzaine d’années. Depuis l’an dernier, l’antiquaire italien installé à Paris Giovanni Sarti et le New-Yorkais Marco Grassi ont trouvé leurs marques et leur public au côté du Florentin Fabrizio Moretti, spécialisé dans les primitifs italiens, et du marchand parisien Maurizio Canesso, féru de peinture du XVIIe italien, lesquels ont rejoint Maastricht il y a trois ans. La visibilité de l’art pictural italien s’en trouve d’autant plus renforcée. Deux antiquaires argentins dont l’enseigne répond pour chacun au patronyme d’Eguiguren, spécialisés dans l’art pour l’un italien et espagnol, pour l’autre ibéro-américain, également conviés depuis 2004, ont permis d’ouvrir la voie à un public plus diversifié. Une nouvelle clientèle d’Europe du Sud est venue grossir les rangs des habituels collectionneurs belges, hollandais, allemands, suisses, français. L’art italien passionne aussi de nombreux conservateurs américains qui font le voyage. Le tableau hollandais en perdrait presque la vedette. L’un des chefs-d’œuvre de la foire est exposé par la galerie Sarti. Il s’agit d’un Portrait d’un jeune garçon peint par Pérugin (1448-1523) vers 1475, seule œuvre en mains privées à faire partie de l’exposition consacrée à l’artiste qui s’est tenue à Pérouse en 2004 (lire le JdA n° 193, 14 mai 2004). Sur le stand de la galerie anglaise Dickinson, trône un Christ en majesté du peintre florentin Nardo Di Cione (1320-1365). Maurizio Canesso a réuni pour sa part une série de tableaux génois aux thèmes variés dont une composition baroque du Massacre des Innocents par Valerio Castello ; une Vierge à l’Enfant du même artiste ; Renaud enlevé par Armide de Gregorio De Ferrari, une scène tirée de La Jérusalem délivrée par Tasso ou encore une Allégorie des vices d’Alessandro Magnasco. Avec une Vue de Rome avec le pont Sisto de Gaspar Van Wittel (1652-1736) dit « Vanvitelli », la galerie romaine Cesare Lampronti est sûre de son effet : la vedute reste ce qui est le plus recherché dans la peinture italienne et l’artiste est renommé dans le genre. Le marchand parisien Jean-François Heim parie aussi sur une rare et grande paire de vues de Venise réalisée par William James, peintre de l’école anglaise au XVIIIe siècle, une œuvre qu’il cédera probablement sans difficulté.
Une vraie place pour l’art moderne
Du côté de la peinture de l’Europe du Nord, citons un portrait de Jan Lievens (1607-1674) présenté par la galerie Salomon Lilian d’Amsterdam. Intitulé Un Philosophe, il a été réalisé en 1629, au moment où l’artiste partageait son atelier avec Rembrandt. Chez De Jonckheere, un Paysage avec la montée au Calvaire signé Herri Met De Bles (1485-après 1555) et un Paysage fluvial avec un port de pêche de Jan Brueghel le Jeune (1601-1678) provenant de collections privées séduiront les amateurs de paysages flamands classiques. La peinture française a aussi son mot à dire. Elle sera notamment illustrée par un Portrait présumé de la comtesse de Noirmont en Diane, de Nicolas de Largillierre (1656-1746), chez Hervé Aaron ; un Portrait de la comtesse Karoly peint par Courbet en 1865 chez le Londonien Artemis Fine Arts et surtout Narcisse, une rare huile sur toile de 1890 signée Gustave Moreau restée dans la même famille depuis un siècle et présentée par French & Company de New York. Si la galerie Segoura, de retour après plus de dix ans d’absence, s’affiche au secteur mobilier (indiscutablement le parent pauvre de la foire), c’est avec une huitaine de toiles (le quota maximum pour un exposant en meubles) qu’elle pense avant tout marquer sa présence : une nature morte flamande aux fleurs et fruits par Isaac Soreau (1604-1638), une huile sur toile montrant une jeune femme sortant du bain signée Joseph-Marie Vien (1716-1809) et achetée au Salon de 1763 par le duc d’Orléans pour la chambre de parade au Palais- Royal, ou encore une scène d’intérieur de Louis Roland Trinquesse (1746-1800) exposée outre-Atlantique en 2003 comme chef-d’œuvre de la peinture de genre en France.
À Maastricht, le terme de trésor est au demeurant synonyme d’objet. En papillonnant de stand en stand, l’on verra une petite collection d’objets vénitiens en laiton incrusté de la fin du XVIe siècle à la galerie Cesati de Milan ; de rares pièces de porcelaine Kangxi chez le Portugais Luis Alegria ; une garniture en porcelaine de Delft au décor cachemire chez le Hollandais Aronson ; quatre chandeliers en porcelaine de Meissen dessinés par Joachim Kändler à la galerie Röbbig (Munich) et un bas-relief en terre cuite du XVe siècle attribué à Gregorio Di Lorenzo chez le Suisse Kurt Spirig. Deux œuvres majeures retiendront plus particulièrement l’attention, à commencer par la Madone sur son trône en bois de noyer avec traces de polychromie, sculptée en Auvergne au XIIe siècle et exposée par Bresset & Fils comme une véritable pièce de musée. « On compte une vingtaine de Vierges d’Auvergne datées avant 1200 mais celle-ci est l’un des rares exemples encore en mains privées », rappelle la galerie parisienne. Le Monégasque Adriano Ribolzi arrive quant à lui avec une surprise de taille, soit une très étonnante et spectaculaire paire de chevaux en bois sculpté et peint à l’imitation du bronze, réalisée par l’entourage de Jean de Bologne. Les antiquités classiques, l’archéologie orientale mais aussi les arts premiers ont à Maastricht leur place consacrée, en particulier depuis la disparition du salon Cultura de Bâle en 2004.
D’année en année, l’art moderne tire son épingle du jeu. « Il commence à avoir une vraie place », confirme Anisabelle Berès qui soigne sa présentation avec quelques tableaux nabis, des toiles de La Fresnay et de Laurens ainsi qu’une immense gouache de Picasso représentant le théâtre Molière. Landau Fine Art (Montréal) montre Überbrücktes (1931), l’un des rares tableaux divisionnistes de Paul Klee, et La Berceuse du chien (1943) de Jean Dubuffet, œuvre très colorée et apparue très tôt dans la carrière de l’artiste. La galerie Salis & Vertes (Salzburg) plantera son décor autour de La Musique de Tintoret, tableau de Raoul Dufy où l’artiste interprète une œuvre du Tintoret représentant des déesses réunies pour un banquet musical. Le marchand Beck & Eggeling (Düsseldorf) dévoilera quant à lui trois tableaux d’Emil Nolde (1867-1956), dont une toile intitulée Familienbild (1947), exécutée à partir de l’une des aquarelles peintes par l’artiste entre 1938 et 1945, lors de son exil à Seebüll, dans le nord de l’Allemagne. Le cru 2005 pour l’art moderne voit en outre l’arrivée de la galerie Acquavella Galleries (New York) et de la galerie Karsten Greve (Paris, Cologne), deux renforts de poids. Enfin, sans être totalement exclu, l’art contemporain obtient un taux de pénétration très faible. Mais, bien que Tefaf ne veuille pas pour l’instant développer ce créneau, elle annonce tambour battant sur le stand de la galerie Timothy Taylor (Londres) un grand tableau de Philip Guston, Waking Up (1975), une toile représentant l’artiste au lit – thème récurrent et emblématique des tableaux peints par Philip Guston à la fin de sa vie – au prix d’environ 3 millions de dollars (2,3 millions d’euros)...
Du 4 au 13 mars, MECC (Centre des congrès et des expositions), Forum 100, Maastricht, Pays-Bas, tél. 31 411 64 50 90, tlj 11h-19h sauf dimanche 13 mars 11h-18h, www.tefaf.com, entrée (catalogue inclus) : 35 euros, catalogue : 17,50 euros.
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La belle du Nord s’ouvre au Sud
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : La belle du Nord s’ouvre au Sud