Depuis 2005, la BD sort de sa bulle pour investir le marché de l’art. Malgré quelques records spectaculaires, les originaux restent néanmoins (encore ?) abordables.
Trois ans après son ouverture à Bruxelles, la Galerie Champaka, référence dans le monde de la bande dessinée, vient de s’installer à Paris, à deux pas du Centre Pompidou. Un symbole, dans ce haut quartier de l’art contemporain. Révolu en effet, le temps où les dessinateurs, comme Hergé ou Franquin, se considéraient comme des artisans dont le but était simplement d’éditer des albums. Depuis quelques années, la bande dessinée investit le champ de l’art : planches originales, albums, illustrations s’invitent dans les galeries, les foires et battent des records aux enchères.
Millon, quatrième maison de ventes française (derrière Sotheby’s, Artcurial et Christie’s) a ainsi clôturé l’année 2012 avec une vente atteignant 1,2 million d’euros, soit 40 % de plus que la session de juin. Et Artcurial, leader dans le secteur de la BD, a enregistré un total des ventes de 11 795 000 euros en 2012, soit une hausse de 82 % par rapport à 2011, avec un record absolu battu en juin, grâce à une planche de Tintin en Amérique adjugée 1,3 million d’euros.
L’irrésistible ascension de la bande dessinée sur le marché de l’art commence en 2005, lorsque les ventes aux enchères commencent à être relayées par les médias. « En 2007, Enki Bilal décide de se séparer de dessins emblématiques. D’un coup, les prix ont explosé. Désormais, le marché existe, et il est solide », observe Éric Leroy, directeur du département bandes dessinées chez Artcurial.
Avec une particularité : le secteur serait encore épargné par la spéculation. Les collectionneurs, en grande majorité francophones, sont surtout des passionnés. Et, hormis les pièces de quelques auteurs phares – Hergé, Franquin, Uderzo, Hugo Pratt, Tardi ou Bilal, dont les planches sont adjugées pour quelques dizaines voire centaines de milliers d’euros –, les prix restent abordables. Même pour des auteurs majeurs de bande dessinée comme Loustal : une des planches de l’auteur de Pigalle 62.27, exposé l’automne prochain à la Galerie Champaka, s’achète autour de 2 500 euros, tandis qu’un de ses tableaux avoisine les 7 000 euros. « Pour l’instant, nous voyons des vaguelettes : le tsunami est sans doute à venir », conclut Alain Huberty, expert chez Millon.
Artcurial , 2 ventes par an : fin mars et fin novembre, 7, rond-point des Champs-Élysées, Paris-8e,
www.artcurial.com
Galerie Champaka, 67, rue Quincampoix, Paris-3e www.galeriechampaka.com
Galerie Petits Papiers, 91, rue Saint-Honoré, Paris-1er, www.petitspapiers.be
L’album
Contrairement au marché des planches originales, celui des éditions originales existe depuis les années 1960. Cet exemplaire de L’Étoile mystérieuse d’Hergé a battu en 2009 un record du monde pour un album de BD. Cette édition originale du maître de la bande dessinée réunit les critères les plus recherchés par les bibliophiles : un très bon état (malgré quelques signes d’usure sur la couverture) et une année très demandée – il n’existe que cinq exemplaires connus de cet album publié en 1943. « Les années 1950 sont moins prisées, car les tirages étaient plus abondants », souligne Éric Leroy.
Hergé, L’Étoile mystérieuse, (Casterman, 1943). Dos rouge, 4e plat A22 (3 exemplaires connus). Édition
de 62 pages dite « alternée », imprimée en noir et blanc d’un seul côté en alternance avec deux pages blanches. Vendu 102 935 euros, le 14 mars 2009, Artcurial, Paris.
La planche originale
Le marché des planches originales voit le jour vers 2007. Depuis, sa croissance est exponentielle. En décembre dernier, cette planche d’Uderzo, extraite de La Grande Traversée, a ainsi largement dépassé sa valeur estimée (entre 70 000 et 80 000 euros) pour atteindre 135 000 euros. Ce qui fait le prix d’une planche ? La cote de son auteur bien sûr, mais aussi l’album dont elle est tirée, l’importance du passage en question au sein du livre, la taille – grande de préférence – de ses cases, la quantité – faible si possible – de ses textes, et éventuellement l’érotisme de la scène.
Uderzo, Astérix et Obélix, La Grande Traversée, 1975, encre de Chine. 38 x 50 cm. Adjugée 134 948 euros, le 9 décembre 2012, Millon, duplex Paris-Bruxelles.
La couverture
En dessinant cette couverture à l’encre de Chine en 1968, Franquin aurait été bien surpris d’apprendre qu’elle s’arracherait un jour à plus de 315 000 euros. Les couvertures, parce qu’elles ne comportent pas de texte, sont en effet très prisées pour leur valeur décorative, même en dehors du cercle des passionnés de bande dessinée. Celle-ci peut l’être d’autant plus qu’elle constitue une charnière dans la carrière de l’artiste, qui arrête la série Spirou au profit exclusif de celle de Gaston. C’est aussi la dernière fois qu’apparaît le personnage de Fantasio.
André Franquin (1924-1997), Gaston Lagaffe, encre de Chine et écoline de couleur pour la couverture de l’album Des Gaffes et des Dégâts, 6e album de la série, publié en 1968 aux éditions Dupuis. Signée. 30 x 24 cm. Adjugée 324 025 euros, le 13 mars 2010, Artcurial, Paris.
Le tableau
Avec l’arrivée de la bande dessinée sur le marché de l’art, certains auteurs (qui parfois peignaient déjà) ont compris qu’il existait une demande des collectionneurs et mettent sur le marché des tableaux ou des illustrations évoquant les univers de leurs albums. Avec succès. En octobre dernier, la vente « Oxymore » de quinze tableaux du très coté Enki Bilal par Artcurial a ainsi rapporté 1,45 million d’euros. Estimée entre 60 000 et 80 000 euros, cette Folle du roi a été adjugée plus de 175 000 euros, marquant l’entrée de cet auteur de bande dessinée dans l’art contemporain.
Enki Bilal (né en 1951), La Folle du roi, 2012, acrylique de couleur et pastel gras sur toile. Titrée, signée et datée au dos. 118 x 90 cm (46,5 x 35,4 in). Vendu 175 574 euros le 29 octobre 2012 à Artcurial, Paris.
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La BD dans la cour des grands
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : La BD dans la cour des grands