Pour sa première exposition chez Almine Rech, l’artiste danois plonge le spectateur dans des sensations de paysages, toujours richement colorés.
Paris. De la même manière que chez les cinéastes, il y a indéniablement des peintres de grands espaces. Per Kirkeby (né en 1938 à Copenhague) en est un. S’il existait encore un doute à ce propos, il est définitivement levé avec cette exposition, la première chez Almine Rech, montée en collaboration avec la galerie Michael Werner (Londres, New York…) et à la suite de celle des Beaux-Arts de Paris fin 2017. Y sont présentés quelques beaux morceaux de bravoure avec quelques toiles aux dimensions XXL : notamment cet Untitled daté de 1999 de 6,95 m x 3 m, mais également quelques autres de 5 m x 3 m, de la même période. Avec toutefois un intéressant paradoxe. En effet, malgré leur grande largeur, ce n’est pas la dimension grand angle ou panoramique qui intéresse Kirkeby mais plutôt la profondeur, comme s’il nous invitait à nous faufiler entre les couches de peinture comme autant de rideaux à franchir pour pénétrer dans le tableau et s’engouffrer dans ce qui ressemble souvent aux cavités sombres d’une grotte ou aux enchevêtrements d’un sous-bois. Car derrière des apparences abstraites, c’est bien de nature dont il s’agit dans cette juxtaposition savamment orchestrée de couleurs, en taches, flaques ou plages, non pour représenter un paysage mais pour en donner une vision, une perception, une sensation. Ancien géologue (il a obtenu son doctorat en 1964, l’année même de sa première exposition personnelle), Kirkeby est un homme de terrain qui connaît son sujet et sait parfaitement, en grand coloriste, disposer ses touches chromatiques pour jouer avec les lumières et les perspectives, pour évoquer ici une clairière (lumineuse), là un sous-bois (sombre), ailleurs une étendue d’eau (opaque).
Pour mettre en place ses différents espaces, Kirbeby a souvent recours à des traits qui, posés sur la toile comme en surimpression, donnent de la profondeur à ses paysages, repoussent au loin certains plans et créent des appels d’air. Une façon de nous inviter à aller voir ce qui se passe derrière, à pénétrer à l’intérieur de ses espaces, à les visiter comme des cathédrales de verdure, à partir en « Excursions et expéditions » – pour reprendre le titre de son exposition au Magasin-Centre national d’art contemporain de Grenoble au printemps 1992. Pour un peu, on aurait envie d’écarter les broussailles afin de se frayer un passage dans la toile, aux allures de mille feuilles et de palimpseste. Car malgré leur grande largeur, c’est bien dans un mouvement d’avant-arrière (et vice versa) que le déplacement s’impose. Et si l’avancée nous immerge dans la couleur, le recul nous rappelle que Kirkeby s’appuie sur l’expérience de la nature pour mener une belle réflexion sur ce qu’est la peinture, sur ce qui fait image et permet sa lisibilité.
Parallèlement aux toiles sont présentées quelques sculptures, à l’exemple, dans la plus grande salle, de ces deux Torso (1983), autour desquels on peut tourner. Ils rappellent eux aussi l’abolition de toute frontière entre figuration et abstraction puisque, comme l’indique leur titre, leur forme n’évoque que de loin un torse. Mais plus que cette opposition, les deux bronzes, tels des monolithes rectangulaires, montrent comment la sculpture permet à Kirkeby de transformer en vrais reliefs et en rugosité ses balayages, ses aplats de peinture, et de passer à la monochromie.
Les prix aussi sont XXL qui vont de 164 000 euros pour la plus petite toile (90 x 30 cm) à près de 2,2 millions pour la plus grande et de 164 000 à 710 000 euros pour les sculptures. Mais cela fait plus de cinquante ans que Per Kirkeby expose partout dans le monde, qu’il est régulièrement présent dans les plus grandes manifestations internationales (il a notamment représenté le Danemark à la Biennale de Venise en 1976, et participé à la Documenta de Cassel en 1982 et 1992). De même, de nombreuses et prestigieuses institutions lui ont consacré des expositions et il figure dans de très importantes collections publiques (la Tate à Londres, le MoMA à New York, le Centre Pompidou à Paris…) comme privées.
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Kirkeby, force de la nature
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Kirkeby, force de la nature