Après la déferlante André Breton en 2003, le surréalisme reste fermement inscrit dans le paysage parisien. La vente « Hommage à Julien Lévy » est de celles qui défient l’assurance des maisons de ventes anglo-saxonnes. La maison française Tajan a été choisie pour disperser huit cent soixante-quatorze œuvres issues de la collection du marchand américain Julien Lévy, grand promoteur du surréalisme. Quand ses concurrents anglo-saxons s’étaient avisés de démembrer l’ensemble au gré des ventes thématiques, Tajan a opté pour une approche globale. Estimée entre 6 et 7 millions d’euros, l’affaire n’était pourtant pas acquise puisqu’à la mort du marchand en 1981, Sotheby’s avait déjà dispersé quelque cent soixante lots de la succession. L’entregent de Rodica Seward, propriétaire américaine de Tajan et les compétences de Marcel et David Fleiss, marchands et experts mondialement réputés, ont permis de rapatrier cette collection en France. Quelques grossières erreurs d’expertise anglo-saxonnes ont tôt fait de convaincre la succession… Une gageure que l’artiste Jean-Jacques Lebel qualifie de Poetic Justice. Car il s’agit bien de rendre à Paris le surréalisme que Julien Lévy s’était échiné à promouvoir dans un continent alors peu disposé à l’absorber. Pour saluer l’événement, Paris se met en branle. Les marchands du Quartier Drouot s’accordent à l’heure surréaliste, la mairie du IXe arrondissement organise des conférences. La fondation Henri Cartier-Bresson, de son côté, reconstitue une exposition de photos que Julien Lévy avait faite en 1935.
Racé, d’une beauté crépusculaire à mi-chemin entre Antonin Artaud et John Barrymore, Julien Lévy était de ces Américains francophiles, plus poète que marchand. Sa galerie ouvre ses portes sur Madison Avenue en 1931 avec une rétrospective de la photographie américaine en hommage à Alfred
Stieglitz. Elle organise l’année suivante la première exposition surréaliste à New York, avec à l’affiche Max Ernst, Dali, Magritte et Tanguy. « Pionnier, visionnaire, ouvreur de pistes et passeur – personnage rarissime mais indispensable à toute dynamique artistique collective – il vivait très en avance sur le marché de l’art et à contre-courant de l’esthétique dominante de son époque », écrit Jean-Jacques Lebel en préface du catalogue de vente. À l’inverse de son confrère Pierre Matisse, attaché aux artistes établis, Julien Lévy n’avait pas un sens très affûté du commerce. Il dut d’ailleurs fermer son espace en 1949. Pendant un certain temps, il confiera des pièces au marchand américain Richard Feigen. Le stock n’en reste pas moins pléthorique.
L’armature du catalogue se compose pour une large moitié de pièces néoromantiques d’artistes comme Christian Bérard, Pavel Tchelitchew, Eugène et Leonid Berman et Léonor Fini, dans des fourchettes de 600 à 16 000 euros. Un ensemble qui n’est pas sans rappeler l’esprit de la collection Pierre Le-Tan dispersée par Sotheby’s en octobre 1995. Ces artistes pourraient mobiliser les amateurs des années 1930-1940 parmi lesquels le marchand Yves Gastou ou Jacques Polge, le nez de Chanel. Le catalogue brasse un rare noyau de vingt-cinq pièces du grand agitateur devant l’Éternel, Marcel Duchamp, rencontré par Julien Lévy en 1927. On retrouve La Mariée, un colotype colorié au pochoir, typique de ceux que l’artiste découpait pour ses célèbres valises (6 000-8 000 euros). Les pièces uniques de Duchamp étant d’une rareté proverbiale, autant s’attarder sur For sitting only (1951), une cuvette WC nantie de mamelles en mousse, offerte en cadeau de mariage à Julien Lévy (100 000-120 000 euros). Quelques emblèmes surréalistes sont au rendez-vous comme l’Indestructible Objet, l’assemblage d’un métronome et d’une photo de Man Ray (20 000-22 000 euros). Les étendards de la vente sont toutefois Pirate I et Pirate II (1942) d’Arshile Gorky, artiste américain pour lequel Julien Lévy avait organisé cinq expositions. Ravalées en 1981 sur des estimations proches de 300 000 dollars, les pièces pourraient aujourd’hui atteindre leurs prévisions respectives d’1,4 et 1,1 million d’euros. Ces deux œuvres sont de plus grande dimension et d’une meilleure année que le petit tableau de 1947 adjugé 800 000 euros dans la vente André Breton en avril 2003. De cet artiste mort prématurément, la vente compte aussi une dizaine de dessins entre 5 000 à 60 000 euros. Le Centre Pompidou et le collectionneur Paul Destribats seront sans doute sur les rangs pour emporter la précieuse documentation et les catalogues d’exposition rarissimes. Certains murmurent à raison que la vente ne compte pas de chefs-d’œuvre. Mais ils peuvent se rassurer car une suite plus alléchante d’environ cent cinquante lots, actuellement immobilisée par une exposition itinérante aux États-Unis, sera dispersée en 2006. Julien Lévy n’a pas fini de se rappeler à notre bon souvenir.
Hommage à Julien Lévy, vente les 5,6 et 7 octobre, PARIS, espace Tajan, 37 rue des Mathurins, VIIIe, renseignements : 01 53 30 30 30.
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Julien Lévy, grand promoteur du surréalisme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : Julien Lévy, grand promoteur du surréalisme