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ENTRETIEN

Jocelyn Wolff : « Les galeries s’adressent désormais à une base de collectionneurs mondialisée »

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Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2024 - 853 mots

Jocelyn Wolff, qui a créé sa galerie il y a plus de vingt ans, explique que la mondialisation du marché de l’art permet de jouer sur les différents cycles économiques des pays.

Vous étiez présent cette année à Art Basel à Bâle dans le secteur général. Comment s’est passée la foire ?

Nous avons bien vendu. Nous étions venus en force, avec une grande partie de l’équipe, car tout se joue dans les deux premiers jours – les mardi et mercredi –, il faut donc être disponibles. Très peu de collectionneurs acceptent de venir sur la foire en fin de semaine, d’autant qu’ils savent que, malgré les recommandations d’Art Basel, peu de galeristes seront présents sur leurs stands. Ainsi tout va beaucoup plus vite. En revanche, l’installation de Miriam Cahn que nous présentions sur « Unlimited » (un ensemble de 33 tableaux) n’a pas encore trouvé preneur. Mais sur le stand, nous avons vendu des œuvres de chacun des artistes exposés, avec des prix qui commençaient en dessous de 1 000 euros – pour une toute petite pièce de Francisco Tropa. Les gens sont surpris de trouver des tarifs aussi accessibles à Bâle. Mais aucune galerie d’art contemporain n’a intérêt à pratiquer des prix spéciaux pour les foires.

Le marché était au ralenti depuis fin 2023. Art Basel a-t-elle donné le signal d’une reprise ou s’agit-il d’une parenthèse ?

Je dirais que le marché va bien, parce que les échelles ont changé. Les galeries s’adressent désormais, grâce aux foires qui ont lieu à l’étranger ainsi qu’aux plates-formes en ligne, à une base de collectionneurs mondialisée. Ce marché élargi offre davantage de solidité financière, car les aléas économiques et géopolitiques ne se font pas sentir de la même façon dans les différentes régions du monde. L’Asie (en particulier la Chine où nous sommes présents avec un bureau à Shanghaï) a constitué en 2023 un important relais de croissance pour la galerie, qui y a réalisé la moitié de son chiffre d’affaires. Mais c’est un marché à l’arrêt ces derniers mois. Le revers de ce changement d’échelle, avec la prédominance des méga galeries internationales, c’est qu’il est difficile de mener cette activité en restant petit : on est tenté de s’installer dans des espaces plus vastes, d’avoir des équipes plus fournies. Cela génère évidemment des coûts.

Il faut donc absolument grandir pour survivre ?

Oui et non. Pour ma part je ne souhaite pas que la galerie présente trop d’artistes : je veux continuer à parfaitement connaître le travail de chacun d’eux. Cela impose une limite, d’après moi autour d’une vingtaine de noms. Or on voit bien que les très grosses enseignes fonctionnent selon une logique de « stock » illimité. Leurs listes d’artistes s’allongent et ils font monter les prix de chacun d’eux tant que ça marche, en répondant aux modes. Quand un artiste vend moins, ou que ses prix stagnent, ils en font rentrer un nouveau. C’est très risqué pour les artistes, qui sont cependant nombreux à être séduits par ce système. Mais que se passe-t-il une fois qu’ils ont atteint leur pic ?

De quoi cet emballement des prix pour certains artistes est-il le symptôme ?

D’un fossé de plus en plus important entre le marché et les instances de légitimation qu’étaient les musées et les grandes manifestations du type biennale.

Pourtant les galeries produisent régulièrement des expositions de leurs artistes dans les musées et les biennales…

Sans doute, mais depuis quelque temps, nombre d’institutions cherchent à jouer un rôle sociopolitique. À Paris, le Palais de Tokyo, le plus grand centre d’art en Europe, poursuit une programmation qui se veut en prise avec les problématiques sociétales. On l’a vu aussi lors de la dernière Documenta [en 2022] ou avec la [60e] Biennale de Venise actuellement, dont l’exposition principale parle des minorités et des exilés, ou encore avec la Biennale de Whitney [à New York], dont la direction artistique entend cette année « s’attaquer aux problèmes les plus urgents de notre époque ». Pour les galeries, cet agenda politique n’est pas sans conséquences. Depuis deux ans, je ne travaille quasiment plus avec les musées américains, qui ont une politique de quotas dans leurs achats et leur programmation. Les artistes que nous présentons ne cochent pas les cases.

En 2022, vous avez fondé une microgalerie à Saint-Germain-des-Prés en partenariat avec Samy Abraham. Cet été vous ouvrez sur rendez-vous un parc de sculpture en Normandie. Cela signifie-t-il que votre développement est désormais hexagonal ?

Pas uniquement. C’est intéressant d’être présent rive gauche, dans le Paris carte postale qu’affectionnent les touristes, en étant ouvert à diverses collaborations et même à des présentations de second marché. Le parc de sculpture en Normandie va nous permettre de produire des pièces en dehors du cadre de la commande, de tester des choses. Mais je reste ouvert à l’international : pour mieux comprendre le public américain et nouer des contacts avec le nouveau réseau institutionnel qui s’est mis en place aux États-Unis, nous nous rapprochons du project space Osmos, où nous présentons en ce moment un solo de Miriam Cahn. Cela nous permet d’avoir un poste d’observation à New York, on verra sur quoi cela débouche.

Galerie Jocelyn Wolff,
43, rue de la Commune-de-Paris, Komunuma, 93230 Romainville. Exposition « Clemens von Wedemeyer, Antisinergy » jusqu’au 20 juillet.
Abraham & Wolff,
12, rue des Saint-Pères, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Jocelyn Wolff, galeriste : « Les galeries s’adressent désormais à une base de collectionneurs mondialisée »

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