L’institution centenaire, qui a su s’adapter tant bien que mal aux évolutions du marché, est prisée par une clientèle très internationale. Mais elle doit encore soigner sa marque.
Saint-Ouen-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Lieu unique au monde, les puces de Saint-Ouen, aux portes de Paris, sont, avec près de 5 millions de visiteurs par an, la 5e destination touristique française. Concentrés sur 7 hectares, les 1 200 marchands qui y sont établis sont répartis en 14 marchés – chacun cultivant l’identité qui lui est propre. Il y a le marché Vernaison, le premier à s’être installé, en 1920, sur la zone occupée depuis le début des années 1870 par les chiffonniers. Sont venus ensuite Biron (1925), Jules-Vallès (1938), Paul-Bert (1946), Serpette dans les années 1970 et enfin Dauphine en 1991. L’ambiance et le charme qui règnent aux Puces est particullier ; l’endroit continue d’attirer les marchands puisque 90 % des stands sont occupés. « De nouvelles têtes arrivent chaque année », confirme Aurélien Jeauneau, spécialisé en design (Galerie Pradier-Jeauneau, Paul-Bert). « C’est là que tout tourne ! Nous voyons tous les antiquaires du Carré Rive Gauche ainsi que les plus grands décorateurs », témoigne un marchand. « Tout le monde passe au Puces. J’ai comme clients le roi du Maroc, Kanye West, l’émir du Qatar… », confie Daisy Maison, spécialisée en objets de 1840 à 1900.
Pour perdurer, les Puces ont dû se réinventer en permanence et s’adapter aux évolutions du marché de l’art et des goûts – depuis dix ans, sans surprise, le XXe a pris le pas sur les antiquités. « Nous avons dépoussiéré tous les marchés, en les embellissant. À Biron par exemple, nous avons mis un tapis rouge », souligne Medhy Allaouchiche-Gerault, directeur général de Biron et président du Marché aux puces. « Les marchands ont fait un effort dans la présentation des stands. Ce n’est plus seulement du stockage », note William Vonthron, marchand de luminaires (Dauphine) et président de la Compagnie des experts français en antiquités (CEFA). Ces vingt-cinq dernières années, « ce qui a changé, c’est l’internationalisation de la clientèle, qui auparavant était essentiellement américaine. Là, nous voyons des Mexicains, des Turcs, des Marocains, des Mongols, des Nicaraguayens… quand les Franco-Français représentent 20 à 30 % ».« Les pays du Golfe sont très acheteurs ainsi que le Vietnam, la Thaïlande, la Chine, tandis que les Américains sont toujours là », complète Daisy Maison. Selon Marc Segoura (Biron), issu d’une dynastie d’antiquaires, l’un des changements les plus marquants a été l’évolution du profil des visiteurs : « Il y a vingt ans, notre clientèle était principalement composée de collectionneurs et d’amateurs d’art avertis. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de jeunes acheteurs, curieux et passionnés, qui découvrent les antiquités et les œuvres d’art classique. »
Si les marchands reconnaissent une baisse de ventes, Internet est une porte d’entrée et un complément économique. « Et grâce aux réseaux sociaux, nous avons retrouvé une clientèle parisienne que nous n’avions plus», relève Medhy Allaouchiche-Gerault. Le profil des nouveaux arrivants s’est également modifié : « Ils sont déjà expérimentés. Difficile pour un jeune de 20 ans de s’installer. Sans argent, c’est ingérable », observe William Vonthron. « Les loyers ont augmenté, mais avant de prendre une boutique ils s’essaient sur Internet », ajoute Aurélien Jeauneau.
Le plus grand marché au monde d’antiquités a été classé en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager en 2001, mais son inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco serait une façon d’écarter à jamais toute menace de destruction. « Le dossier, qui me tient à cœur pour le “grenier du monde”, comme j’aime à appeler les Puces, est un enjeu stratégique. Il va être déposé cet automne en grande pompe », révèle Medhy Allaouchiche-Gerault. Cela permettrait aussi de renforcer une attractivité… parfois mise à mal par certains marchands qui semblent oublier qu’ils ont un outil formidable entre les mains. « Je ne comprends pas que la machine ne soit pas davantage exploitée », s’insurge Daisy Maison.
Ce musée en plein air où tout est à vendre est censé être ouvert du vendredi au lundi. Or, depuis plusieurs années, seuls 30 % des stands ouvrent le lundi. « Il faut que la direction fasse respecter les horaires, obligatoires sur les baux. C’est une honte. Les visiteurs qui viennent le lundi et qui voient de nombreux stands fermés ne reviendront jamais ! Beaucoup de gens ne peuvent venir que le lundi, les commerçants, les décorateurs de cinéma… », lance l’antiquaire Laurence Vauclair (Paul-Bert). Selon Daisy Maison, une remise « de 200 euros » sur le loyer pourrait être accordée si la boutique reste ouverte tous les lundis.
Même constat pour les JO : nombre de marchands, inquiets de ne pouvoir circuler, projetaient de fermer boutique pendant l’événement. Certains pourtant se ravisent. « Les JO sont une occasion stratégique pour renforcer notre présence à l’échelle mondiale et établir de nouvelles connexions avec des clients potentiels », estime Marc Segoura. D’autres regrettent que rien n’ait été fait pour anticiper la manifestation. « Des brunchs auraient pu être prévus dans les allées le dimanche », imagine Daisy Maison – la seule par ailleurs à organiser une exposition sur le thème des JO. « Nous, nous serons ouverts du vendredi au lundi, de 9 h 30 à 18 heures, annonce Laurence Vauclair. J’espère que nous allons être copiés parce que les JO c’est 11 millions de visiteurs, et qu’à Saint-Ouen il y aura une partie du village olympique – avec les sponsors, la famille des joueurs… Si ces gens ont envie d’aller se balader, ils vont venir ici ! »
Autre atout, le Village des rosiers, installé sur les anciens entrepôts Steinitz, dont « les 500 logements neufs à 8 300 euros le mètre carré devrait amener une nouvelle clientèle », escompte William Vonthron. De belles perspectives à venir, donc, pour ce lieu emblématique qui doit encore lutter contre un autre fléau : le neuf. « Ceux qui en vendent n’ont rien à faire ici. C’est de l’arnaque au client car ils le vendent au prix de l’ancien ! », s’insurge Laurence Vauclair.
Sur tous ces points, les marchands attendent des décisions claires de la part de la direction, tout en pointant du doigt une communication en « sous-régime »…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les Puces cultivent leur originalité
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Les Puces cultivent leur originalité