Suisse - Collectionneurs

Portrait

Jean Claude Gandur, collectionneur et mécène

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 1548 mots

Après avoir fait fortune dans l’exploitation du pétrole, ce collectionneur passionné d’art antique et d’abstraction lyrique s’engage auprès du Musée d’art et d’histoire de Genève.

La prunelle qui pétille et de longues mains aux doigts fins… C’est sans doute à ces détails-là que l’on devine d’emblée la personnalité du collectionneur suisse Jean Claude Gandur, homme raffiné et enthousiaste tout à la fois. Dans les salles baignées de lumière du Musée d’art et d’histoire de Genève, il promène en cette fin de janvier sa silhouette élégante au beau milieu de ses bronzes égyptiens et de ses portraits gréco-romains. Sans doute n’est-il pas peu fier de les voir dialoguer, le temps d’une exposition, avec les Antiques appartenant à l’institution genevoise. Ces deux magnifiques ensembles ne devraient-ils pas être réunis si les travaux d’extension du musée voient le jour dans la sérénité ? Car c’est bien ce que stipule la convention signée entre la Ville de Genève et la Fondation Gandur pour l’art. Créée en 2010 par le collectionneur, cette dernière s’est engagée en effet à financer à hauteur de 20 millions de francs suisses (soit 16,50 millions d’euros) l’agrandissement du Musée d’art et d’histoire confié à l’architecte français Jean Nouvel. Cerise sur le gâteau, Jean Claude Gandur devrait en outre enrichir le fonds déjà considérable de l’institution genevoise en lui accordant un prêt de 99 ans de ses inépuisables collections d’archéologie, de peinture et d’arts décoratifs. Lorsque l’on sait que cet esthète possède la plus grande collection privée d’art égyptien au monde, l’information a de quoi susciter un léger vertige…

Face à cette générosité, l’étonnement le dispute cependant à la curiosité. A-t-on affaire à l’un de ces collectionneurs narcissiques caressant le rêve de graver leur nom pour l’éternité dans le marbre d’un musée ? Ou bien sommes-nous en face d’un philanthrope soucieux de faire partager au plus grand nombre l’amour des arts et de la beauté ?

L’Égypte, le berceau de sa collection
La réponse est peut-être à chercher du côté de l’enfance de Jean Claude Gandur. « J’ai eu la chance de naître dans une famille pour laquelle la culture jouait un rôle très important. En elle, deux Orient se sont rencontrés. Élevé à Alexandrie, je suis juif par mon père et orthodoxe par ma mère. C’est sans doute pour cette raison que j’ai toujours été préoccupé par les relations entre les cultures et les religions », raconte avec pudeur l’esthète. Derrière le sourire esquissé, l’on devine aussi la nostalgie de cette enfance insouciante et légère au sein d’une Égypte cosmopolite et prospère, qui pratiquait alors la tolérance à l’égard de toutes ses communautés. Il y eut cependant cette tragique rupture qui contraignit la famille, en 1962, à quitter précipitamment le sol égyptien. C’est alors l’exil forcé vers la Suisse où l’enfant, à peine âgé de douze ans, puise dans le souvenir et l’amour de l’art un soupçon de consolation. « Mes parents ont tout perdu : ma mère pendant la révolution russe, et mon père lorsqu’il a été “remercié” par les autorités égyptiennes. Sans doute ai-je voulu inconsciemment combler ce sentiment de vide et d’injustice par le désir de me construire mon propre musée imaginaire », avance, en guise d’explication, Jean Claude Gandur. Le jeune adolescent n’aura alors de cesse de punaiser sur les murs de sa chambre des reproductions de tableaux célèbres comme autant de trophées et de repères visuels. Une façon de recréer aussi l’atmosphère élégante et ouatée du bel appartement de ses grands-parents, dont le salon était orné de toiles de Derain, de Marquet et d’Utrillo… Mais l’envie de posséder devient plus forte et Jean Claude Gandur commence bientôt à jeter son dévolu sur les petites amulettes égyptiennes qui, à l’époque, se vendent pour quelques francs. L’apprenti collectionneur ne sait pas encore que la quête du bel objet pharaonique ne va plus le quitter ! Il est vrai qu’entre-temps Jean Claude Gandur a fait fortune dans l’exploitation de l’or noir. Formé au trading pétrolier auprès de l’important négociant en matières premières Philipp Brothers, celui qui est devenu un homme d’affaires choisit d’investir en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Gabon, Côte d’Ivoire, Cameroun) puis au Kurdistan. Boudée par les compagnies pétrolières, cette partie du monde assurera ses beaux jours et le placera en bonne place sur la liste très sélecte du magazine Forbes recensant les plus grosses fortunes au monde… Désormais, il est libre de s’adonner à sa véritable passion : la quête de la beauté sous toutes ses formes, nichée dans un bronze égyptien d’époque pharaonique, une idole cycladique taillée dans le marbre il y a cinq mille ans, un couvercle en stuc de momie égyptienne, une tête de bodhisattva du Gandhâra, un portrait saisissant de vérisme d’une matrone romaine, mais aussi une toile nerveuse et inspirée de Zao Wou-Ki, de Hans Hartung ou de Georges Mathieu. Aux côtés de l’Antiquité qu’il vénère – certaines pièces de sa collection ont fait pousser des cris d’admiration à Jean-Luc Martinez en personne, le directeur du Louvre –, Jean Claude Gandur nourrit une autre passion : l’abstraction lyrique parisienne des années 1950. Une école longtemps boudée par la critique d’art et le marché, que le collectionneur a su regarder quand d’autres n’avaient d’yeux que pour la peinture américaine. Exposé en 2011 au Musée d’art et d’histoire de Genève, cet ensemble exceptionnel réunissant des chefs-d’œuvre de Vieira da Silva, de Soulages, de Sam Francis et de Joan Mitchell devrait, lui aussi, rejoindre les cimaises du musée suisse, une fois son redéploiement accompli. Le collectionneur conjugue décidément intuition et exigence, tant son parcours pictural s’est affranchi des diktats du marché et du goût…

Un esprit prompt à dénicher la rareté
S’il est des qualités que possède indéniablement Jean Claude Gandur, ce sont l’indépendance d’esprit et la curiosité. C’est ainsi avec la même exhaltation juvénile que Jean Claude Gandur collectionne désormais les œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance, comme les meubles signés des plus grands ébénistes du XVIIIe siècle.

Lors de notre rencontre, le collectionneur n’est pas peu fier de nous montrer la photo d’un de ses tout derniers achats : une chasse reliquaire du XIIIe siècle en émaux de Limoges. « Je rêvais de posséder un tel objet, encore dans son jus avec ses cabochons d’origine. Cette chasse reliquaire provient d’une collection américaine de Boston. Même les charnières sont d’époque. C’est une pièce exceptionnelle. Seul le Brooklyn Museum peut se targuer d’en posséder une de cette qualité », s’émerveille, comme un gamin, Jean Claude Gandur. Heureux d’exhiber un autre de ses récents trophées, le collectionneur nous montre  encore une photo d’une palette à fards en ivoire polychrome datant du règne d’Aménophis IV, plus connu sous le nom d’Akhénaton. Là encore, la qualité et la rareté de la pièce semblent exceptionnelles. Assistant à la scène, Jean-Luc Chappaz, le conservateur de la section égyptienne du musée genevois, écarquille les yeux… « L’objet est resté plus de cent ans dans la même famille anglaise. Je l’ai acquis auprès d’un de mes marchands habituels », surenchérit Jean Claude Gandur, qui demeure farouchement attaché à la traçabilité de ses pièces et à leur provenance, qui se doivent d’être irréprochables. « À quoi bon acheter un objet d’origine douteuse si on ne peut l’exposer aux yeux de tous, faire partager sa beauté », s’enflamme ainsi le collectionneur, qui s’en remet, depuis des années, à une toute petite poignée de marchands et d’antiquaires, d’une probité exemplaire.

Loin de souhaiter conserver ses trésors pour sa seule jouissance, Jean Claude Gandur avoue préférer les faire connaître au plus grand nombre. Et si le besoin le taraude d’aller contempler régulièrement l’un de ses 1300 objets entreposés dans un vaste local niché aux abords de Genève, c’est, avant tout, pour vérifier une connaissance, avancer une hypothèse…

Un seul regret assombrit néanmoins l’âme du collectionneur. « Il y a encore quinze ou vingt ans, nous étions un petit monde qui se connaissait, se respectait. Il régnait un modus vivendi implicite entre nous. Nous étions tout au plus 300-400 collectionneurs importants. Mais depuis peu, la donne a changé avec l’explosion des musées du Proche-Orient. Or les musées du Qatar et d’Abou Dhabi, pour ne citer qu’eux, sont très friands de pièces antiques, et d’art égyptien en particulier. Les prix ont déraisonnablement flambé, les ventes sont désormais confisquées. Je suis contraint de me tourner vers d’autres types d’objets, de constituer d’autres collections », confesse Jean Claude Gandur.
Mais cet incorrigible passionné ne cesse d’arpenter avec frénésie d’autres territoires. Parmi ses tout derniers coups de cœur, on trouve ainsi une Vierge en ivoire du XIIIe siècle, une douzaine de pièces archéologiques chinoises, une Pietà allemande sculptée dans du buis… « Certes, c’est toujours l’objet de trop, s’amuse Jean Claude Gandur, mais j’ai résolument confiance en l’avenir ».

Jean Claude Gandur en dates

1949 : Naissance le 18 février à Grasse (Alpes Maritimes),puis enfance passée à Alexandrie jusqu’à l’âge de 12 ans
1962 : Départ d’Égypte, installation en Suisse
1976 : Intègre la société du négociant en matières premières Philipp Brothers
2001 : Première exposition de sa collection d’objets antiques au Musée d’art et d’histoire de Genève sous le titre « Reflets du divin »
2010 : Création de la Fondation Gandur pour l’Art. Convention entre la Fondation et la Ville de Genève pour le financement des travaux du Musée d’art et d’histoire de Genève

Retrouvez la fiche biographique complète de Jean Claude Gandur sur : www.LeJournaldesArts.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Jean Claude Gandur, collectionneur et mécène

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque