« J’aurais voulu être un artiste/Pour pouvoir faire mon numéro… » Beaucoup de gens prennent ce refrain au pied de la lettre. Pour le meilleur et pour le pire. Si certaines photographies de Karl Lagerfeld, exposées en 2004 chez Pierre Passebon (Paris), pouvaient prétendre au rang d’œuvres art, le visiteur a pu être plus circonspect devant les huit sérigraphies inspirées de l’actrice Zhang Yiyi, à l’affiche de la galerie Gmurzynska (Cologne) sur Art Basel en juin. De telles pièces évoquaient davantage une pratique amateur, un caprice, qu’une démarche professionnelle. Et ce, malgré le prix unitaire de 25 000 dollars (environ 20 000 euros) payé par deux collectionneurs ! Les photos de mode de Lagerfeld n’excèdent pourtant pas les 2 000 euros en ventes publiques. Mais rajoutez le label « art » et le tour est joué… Moins sujette à caution, la cinéaste Agnès Varda se frotte elle aussi depuis 2003 au champ des arts plastiques. Exposant ses installations à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris) jusqu’au 8 octobre, elle a déjà un pied dans le marché avec la galerie Martine Aboucaya (Paris).
Un statut convoité
Il est visiblement de bon ton aujourd’hui de se qualifier d’artiste. Pourquoi s’en priver, lorsque l’on voit que la notion de « talent » ne constitue plus nécessairement un critère pour le marché. Cédant à un effet « Star Academy », la galerie londonienne Saatchi a même ouvert sur son site Internet une section baptisée « Your gallery » et dédiée aux artistes en puissance dépourvus de galeries. Ce pseudo-œcuménisme est dans l’air du temps. Rappelons qu’en 2004 le Palais de Tokyo avait ouvert ses portes à la Hype Gallery de Hewlett Packard. Pour promouvoir ses appareils électroniques, la firme offrait à de simples anonymes la possibilité de reproduire leurs photos en format poster et de les exposer pendant un mois dans le centre d’art.
Hormis la jet-set et les quidams, les acteurs du monde culturel se prêtent parfois au jeu. Dominique Marchès se présente ainsi à la fois comme commissaire d’exposition et photographe. De son côté, le conseiller à la Cour des comptes Claude Mollard a exposé en mai une série de photographies dénommée « Origènes » à l’Institut français de Marrakech. S’agit-il du syndrome John Coplans, lequel, après avoir été rédacteur en chef de la revue américaine Artforum, s’était orienté en 1984 vers la photographie ? Quoi qu’il en soit, les photos de Marchès et de Mollard n’étant pas encore commercialisées, il serait injuste de prêter à leurs auteurs des arrière-pensées mercantiles.
Si le statut d’artiste se révèle de plus en plus convoité, les vrais créateurs songent parfois à devenir… galeristes. Ce fut le cas de la Moscovite Aidan Salakhova, qui ouvrit la première galerie russe en 1992. Elle n’en a pas moins gardé sa casaque d’artiste, ses propres œuvres étant diffusées via la galerie XL (Moscou). De même, l’ancien artiste Peter Nagy a ouvert dans les années 1980 une galerie à New York avant de transposer l’expérience à New Delhi. Lui non plus n’a jamais renoncé à la création, exposant même une fois dans sa propre galerie à la fin des années 1980. D’après Salakhova et Nagy, une double casquette permet de mieux comprendre les créateurs et de communiquer efficacement avec une grande variété d’interlocuteurs. À l’ère du « pluri- » et du « trans- », il n’existe plus de rôle bien défini.
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J’aurais voulu être un artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : J’aurais voulu être un artiste