Dans sa lettre publiée page 60, Richard Rodriguez affirme que son \"œuvre de salubrité publique\" pourrait permettre à l’État \"d’obtenir la restitution des 145 millions de francs versés, sur décision de justice, à Monsieur Walter, le préjudice, argué par ce dernier devant les tribunaux, ayant disparu du fait de la non-authenticité de son tableau.\" Mais l’affaire du Jardin à Auvers est juridiquement close par l’arrêt de la Cour de cassation. Ayant donc acquis l’autorité de la chose jugée, rien ne pourrait permettre judiciairement de revenir sur ses conséquences financières.
Écrire, comme nous l’avons fait, que les "conservateurs ne pouvaient être inquiétés ..." ne constituait pas l’affirmation que le classement "confère une authenticité", comme le comprend Richard Rodriguez, mais n’exprimait qu’une interrogation devant le silence de ceux – ils furent nombreux – qui avaient à plusieurs reprises interdit le tableau de sortie puis engagé l’État à le classer (*). Les hypothèses formées dans l’article sur l’abstention des uns et des autres (les conservateurs, mais aussi les experts et autres spécialistes qui avaient rivalisé de superlatifs à propos de l’œuvre) éclairaient d’ailleurs cette remarque.
In fine, si le dessein de Richard Rodriguez est tout à fait louable, il n’est pas évident que le moyen choisi soit le plus approprié. En tant que contribuable, on peut en effet regretter le coût élevé de l’opération. Si, en plus, il devait apparaître que le tableau est un faux, la perte financière se doublerait d’une perte de crédibilité du corps de conservation et des experts français, regrettable au moment où le marché national va s’ouvrir. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille renoncer. Au contraire, il serait souhaitable que le débat sur l’authenticité se fonde sur des données rigoureuses. Lorsque le tableau aura regagné les coffres des héritiers de Jean-Marc Vernes, il ne sera pas dans la meilleure place pour cet examen. En l’achetant, l’État aurait honoré la signature de ses fonctionnaires et n’aurait pas pris de risques insensés : outre qu’il récupérait sous forme de droits de succession (vraisemblablement dans la tranche à 40 %) une part non négligeable du prix d’achat, il pouvait l’analyser posément, et éventuellement demander l’annulation de la transaction si le tableau s’avérait ultérieurement être un faux. Évidemment, cette simulation des risques ne tient pas compte de la valorisation du ridicule.
Quelle valeur pour la déclaration de succession ?
Il reste à attendre la valeur du tableau retenue dans la déclaration de succession. Les héritiers Vernes pourraient se contenter de retenir la dernière enchère avant le retrait du tableau mais, s’ils veulent enrichir la saga juridico-fiscale de l’œuvre, ils pourront exploiter l’article 764-I-3° du Code Général des Impôts, combiné à l’article 534 du Code civil suivant l’interprétation retenue par la Cour de cassation le 17 octobre 1995. L’œuvre n’appartenant pas à une collection de tableaux, son estimation pourrait s’inscrire dans le forfait "meubles meublants" de 5 % de l’actif successoral. Si l’actif successoral net est sensiblement inférieur à un milliard – ce que donnerait à penser les rumeurs – et que les objets d’art non encore vendus soient de valeur modeste, la valeur successorale du tableau pourrait descendre très sensiblement en dessous de son prix d’achat. Dans les deux cas, les droits de succession seront notablement réduits, et on regrettera derechef que l’État n’ait pas acquis l’œuvre (à moins qu’une validation législative n’ait, dans l’entrefait, corrigé cette interprétation du CGI par la Cour de cassation). Bref, comme le souligne Richard Rodriguez, on n’a pas fini de parler de cette affaire....
* Lorsque le classement est intervenu, le 28 juillet 1989, si la jurisprudence Walter n’était pas encore établie, l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar condamnant l’État dans l’affaire Schlumpf avait été rendu le 23 janvier 1989 et la Cour de cassation ne l’avait pas encore annulé. Cette circonstance, comme la procédure de classement d’office, qui impose un décret en Conseil d’État motivé par des considérations justifiant un "intérêt public d’histoire ou d’art", supposait une particulière vigilance des conservateurs.
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« Jardin à Auvers » : la cause est jugée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : « Jardin à Auvers » : la cause est jugée