Il n’y a plus de monopole...et de moins en moins de garanties

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 764 mots

La vente d’art sur l’Internet qui vient de se dérouler sur le site Nart.com/auctions illustre, s’il en était encore besoin, la fragilité du monopole des commissaires-priseurs français et les limites de leur futur statut.

Dans son dossier de presse, cette société indiquait qu’elle organisait “la première vente aux enchères d’œuvres d’art entièrement sur l’Internet”. Il y a bien longtemps que l’on vend de l’art aux enchères sur le Net, mais c’est la première fois – et il y en aura désormais beaucoup d’autres – qu’une vente aux enchères est montée de France sans intervention d’un commissaire-priseur. Ce site avait jusque-là proposé des ventes sur le Net en association avec des commissaires-priseurs, notamment Me Binoche. Il lui suffit pour s’affranchir de leur tutelle de conduire ses ventes d’un bureau new-yorkais.

La démarche est aussi irréprochable au plan juridique qu’au plan marketing, et totalement parallèle à celle de Sotheby’s ou Christie’s par exemple : ramassage d’œuvres auprès de particuliers ou de marchands, exposition d’une partie d’entre elles à Paris, vente à partir d’un pays échappant à la réglementation française. Il n’y aura pas de droit de suite payé aux artistes contemporains, pas de taxes versées par le site au Trésor public. La publicité souligne que “les ventes sont anonymes et strictement confidentielles”, et le site précise que les paiements des droits et taxes correspondants sont de la responsabilité des acheteurs. Rien là que de conforme aux ventes des auctioneers traditionnels. Avec une différence de taille, toutefois. Jusqu’ici, pour échapper aux contraintes françaises, il fallait expédier ses objets d’art à un auctioneer étranger. Désormais, il suffit de les inscrire sur un site. L’Internet fait tomber le dernier obstacle matériel à la délocalisation des ventes françaises.

Il subsiste par contre une inconnue considérable : la garantie réelle apportée aux acheteurs. Comme on le voit dans notre dossier, les “nouveaux auctioneers” sont réticents ou flous à cet égard. Dans le cas de Nart, les œuvres sont vendues sur la base de la seule description établie par les vendeurs eux-mêmes. L’expertise n’intervient qu’après la vente, s’il y a eu vente, et se borne à constater la conformité de l’objet à la description qui en a été faite. Si cette description est infirmée en tout ou partie, l’acheteur peut renoncer à la vente qui est alors annulée. Si l’expert proposé est français, on peut penser que ce “certificat de conformité” ferait jouer sa garantie, selon le droit français. S’il ne l’est pas...

Dans le cas du nouveau site oxion.com, les œuvres sont expertisées préalablement avant d’être offertes à la vente, par des experts français qui engagent leur responsabilité. Mais on précise qu’il s’agira d’une responsabilité civile prescrite en dix ans, aucun contrat n’existant entre l’expert et l’acheteur.

On peut imaginer que l’intérêt commercial de ces nouvelles maisons de vente, le souci de leur réputation, les amènera à proposer une solution aux litiges qui pourraient se produire, ainsi que le font les auctioneers anglo-saxons. Mais la vente ayant eu lieu à New York, si la solution proposée n’était pas satisfaisante, on plaint l’acheteur qui aurait à rechercher un site dans le cadre du maquis procédural américain applicable. Et l’on comprend l’intérêt porté par eBay à Butterfields, Amazon à Sotheby’s ou Bernard Arnault à Phillips. Il s’agit en particulier d’acquérir la confiance des acheteurs, en appuyant les nouvelles maisons virtuelles sur de solides maisons bien réelles “de brique et de mortier”, établies de longue date, avec des pratiques commerciales connues et rassurantes.

Compte tenu de la “multinationalité” des ventes – un Français vend, via un site à New York, un meuble qu’il détient à un Japonais qui ne l’a vu que virtuellement –, toute réglementation juridique et fiscale paraît pour le moins difficile, et ce sont les consommateurs, en définitive, qui feront, en achetant ou pas, en fonction de la confiance que leur inspire le vendeur, la loi qui échappe au législateur. Mais quelques expériences fâcheuses pourraient obérer l’avenir de tout le marché.

La question de la garantie des achats “à la française” est au cœur de la réforme des commissaires-priseurs, mais à l’ère électronique, le futur organisme de régulation des ventes ne peut pas davantage réglementer l’Internet que le CSA la télévision par satellite. Le statut verra sans doute bientôt le jour, mais l’on voit déjà que dès le départ – en dépit des aménagement qui leurs sont proposés –, les sociétés françaises se trouveront, avec des coûts plus élevés et des responsabilités plus étendues, en situation d’infériorité par rapport à l’Internet. Il leur restera bien sûr la possibilité d’ouvrir des bureaux à New York ou à Zurich. Certaines s’y préparent déjà.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Il n’y a plus de monopole...et de moins en moins de garanties

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