Ruth Francken laisse un œuvre encore inexploré mais intense, livré au feu des enchères les 20 et 21 septembre à Drouot.
PARIS - Décédée le 12 septembre 2006 à Paris, Ruth Francken a laissé un œuvre immense mais encore en grande partie méconnu du grand public. En pénétrant dans son atelier avec le notaire en charge de la succession, le commissaire-priseur parisien Olivier Doutrebente a été « immédiatement frappé par le génie inventif de Ruth Francken. La qualité d’exécution des différents thèmes de son œuvre m’a révélé tout l’intérêt de sa diffusion. » L’artiste n’a jamais voulu entrer dans aucun groupe ou mouvement artistique.
D’origine juive, née à Prague en 1924, vivant à Vienne jusqu’en 1937, puis à Paris, en Angleterre, elle est naturalisée américaine aux États-Unis en 1942. Travaillant à Venise au début des années 1950, avant de s’installer définitivement à Paris, Ruth Francken se disait déracinée à jamais. « Pourtant, cette année, l’exposition sur les Nouveaux Réalistes au Grand Palais aurait pu inclure ses œuvres, mais son imagination, son énergie et sa volonté toute personnelle semblent lui avoir interdit d’y figurer… » De nombreuses expositions internationales jalonnent son parcours mais, l’artiste ne souhaitant pas vendre, pas plus d’une quarantaine d’œuvres sont passées aux enchères ces quinze dernières années. Outre ses archives personnelles, ce sont 443 tableaux-reliefs, sculptures-objets, peintures, reliefs photométalliques, dessins-collages et estampes dans la lignée du surréalisme et du pop art, sur des estimations très modestes, qui sont aujourd’hui à vendre. S’agissant de la vente d’une succession (sans prix de réserve) d’une artiste qui n’a pas de cote en ventes publiques, il est impossible de prédire les enchères finales. Mais les quelques pièces exposées aux « Temps Forts » de Drouot en mai dernier, particulièrement bien mises en valeur, ont retenu l’attention de nombreux amateurs.
Le siège Homme
Seul point de repère en matière de prix : le siège Homme en polystyrène noir, estimé 8 000 euros, qui est le seul objet du design de Ruth Francken et une icône des années 1970 dont il existerait vingt à trente exemplaires tout au plus. Ce siège figure dans les collections du Musée des Arts décoratifs à Paris. Un autre exemplaire est monté à 30 830 euros chez Artcurial le 28 juin 2006, soit presque que le double du prix atteint par celui de la collection Bruno Mouron dispersée le 21 octobre 2003, toujours chez Artcurial. Pour le reste, c’est au marché international d’apprécier. Ce n’est peut-être pas pour le sujet difficile des têtes de mort, réminiscence de la Shoah, que le public s’enthousiasmera le plus, mais sans doute pour deux thématiques récurrentes sur les téléphones et les ciseaux, mis en scène dans des séries de tableaux et de sculptures. Que ce soit le téléphone couché sur un matelas de cuir noir, Televenus, 1969, estimé 4 000 euros, ou les ciseaux dans une vitrine derrière un landau dans la rue, Lullabye, relief photométallique de 1972-1973 estimé 5 000 euros, pour l’artiste « c’est la même chose. […] Allo, ne coupez pas, ou Attention, ils coupent n’est que l’endroit et l’envers de la même médaille. » La manif, 1973-1974, un photomontage sur toile d’une armée de téléphones encadrée de deux battants de portes fenêtres avec une grille de balcon en fer forgé, estimé 8 000 euros, est à ce titre l’une des pièces les plus emblématiques de la vacation.
De la série des Black Bread de la fin des années 1970, avec le pain comme symbole de survie, jusqu’à celle des Burning Point dix ans plus tard, en passant par une déclinaison de portraits de Jacques Monory, Richard Lindner, Michel Butor, Jean Tinguely, Joseph Beuys, Samuel Beckett, Jean-Paul Sartre ou encore Simone de Beauvoir baptisés Mirrorical Return (expression qu’elle a empruntée à Marcel Duchamp) et Hostages, tout est à découvrir ou à redécouvrir chez Ruth Francken. Le catalogue qui est enrichi de nombreuses notes laissées par l’artiste commentant son travail, constitue à lui seul un vibrant hommage à son talent.
Vente les 20 et 21 septembre à Drouot, 9, rue Drouot, 75009 Paris, SVV Doutrebente, tél. 01 42 46 01 05, expositions publiques les 18 et 19 septembre 11h-18h, les 20 et 21 septembre 11h-12h, www.doutrebente.fr
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Hommage à Ruth Francken
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Hommage à Ruth Francken