La galerie Jocelyn Wolff, à Paris, présente le travail récent d’un artiste dont les œuvres par fragments dessinent d’émouvants paysages mentaux.
Paris. Au premier plan, des vagues indécises, surmontées d’une masse d’un blanc crémeux ; sur la gauche, une forme vaguement organique, de laquelle pointe une sorte de moignon vu en raccourci. L’œil met quelque temps à s’accoutumer avant de comprendre ce qu’il voit, vision à la fois étrange et familière : un buste étendu sur des draps froissés, le bras replié sous l’oreiller. La toile, dénommée Source IV (Le sommeil), date de 2015 et sert d’exergue à l’exposition de Guillaume Leblon à la galerie Jocelyn Wolff. Installé depuis peu à New York, l’artiste français de 46 ans est surtout connu comme sculpteur, mais pratique aussi la peinture et le dessin, qui viennent ici s’ajouter à un travail en trois dimensions tourné vers l’intime. Une intimité vue par fragments, comme les souvenirs épars que la mémoire fait se télescoper dans les rêves : l’écho formel de citrons qui se superposent à un sein dans un grand dessin (Sein/citrons), ou des pièces d’ameublement en bois qui trouvent dans leur association une nouvelle dynamique (8-Ball).
Particulièrement émouvants sont les morceaux de corps que Guillaume Leblon extrait du réel et qui évoquent par métonymie des objets de tendresse : Petite armure est un buste en terracotta en légère torsion, à l’humble fragilité ; Température maximale, des hanches moulées en aluminium peint. Deux têtes, moulées en bronze à partir de mannequins trouvés chez un bonnetier, s’embrassent sur le bord d’une étagère (Harlem’s Kiss, pièce vendue 16 500 euros à un collectionneur privé). Au mur, une impression vinyle de 13 mètres de long, … Don’t Believe in Jesus (23 000 euros), prolonge l’intimité suggérée par le tableau Source IV (Le sommeil), exposant dans toute sa longueur la photographie d’un dos vu à ras d’épiderme, ponctué de fragments de corps (jambe d’enfant, sein, bouche) découpés et non retouchés.
Sculpteur même lorsqu’il fait cohabiter des images, Guillaume Leblon pratique l’assemblage, qu’il réalise dans son atelier à partir d’objets trouvés et de moulages, auxquels peuvent s’ajouter jusqu’au dernier moment des éléments – telle cette table de travail « empruntée » à la galerie pour intégrer une œuvre. L’artiste réactualise ainsi les ressorts oniriques de la méthode surréaliste : Big Table Piece (27 500 euros) fait cohabiter une petite huile sur toile avec une nature morte d’aubergine, une grille surmontée d’un poisson en céramique glaçurée, une barre métallique et un cercle en plâtre qui ensemble forment un paysage mental énigmatique. Les quatre éléments de Coke, mangmerde et suspicions (32 000 euros) font entrer en collision douceur organique et brutalité industrielle, contours tendres et objets tranchants : comme des parenthèses, un fessier en aluminium argenté et une gigantesque oreille moulée en verre rose pâle entourent deux structures en métal grillagé. Une juxtaposition poétique qui rappelle la capacité suggestive du haïku japonais, mise en forme d’une sensation éphémère.
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Guillaume Leblon, de rêve en rêve
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Guillaume Leblon, de rêve en rêve