Riche de 800 œuvres, la collection de ce cancérologue passionné et humaniste reflète ce qui se fait de meilleur en peinture contemporaine. Rencontre.
De mon enfance. Nous étions quatre enfants. À la sortie de la guerre, ma mère, qui n’avait que le certificat d’études, était curieuse de tout, en particulier des musées et des châteaux que nous visitions toujours pendant les vacances. C’est grâce à elle que j’ai développé mon approche de l’histoire, de la culture et des arts.
C’est un tableau d’Alun Williams, que j’ai acquis en 1993. Cet artiste anglais, réfugié en France sous l’ère Thatcher, travaille sur la disparition des visages des personnages, qu’il matérialise par une tache évoquant les lieux que ces figures ont fréquentés. Pour moi, la tache représente le degré zéro de l’abstraction ; c’est une espèce d’objet pictural qui renvoie à une volonté affirmée de non-représentation. J’ai été très troublé par cette peinture qui symbolisait pour moi la vie et la mort de certains de mes patients, et cela m’a profondément marqué. Les taches de Williams, bien qu’abstraites, représentent quelque chose : elles sont à la fois des abstractions autonomes et des allusions suggestives. Elles constituent une empreinte, celle du passage sur terre de ces personnages.
J’ai surtout une approche figurative. De la vraie peinture. Au cours du temps j’ai évolué vers l’abstraction ou vers Supports/Surfaces. Mes discussions avec Bernard Ceysson (ancien directeur des musées de Saint-Étienne et du Musée national d’art moderne) et ma fréquentation de Louis Cane, Noël Dolla, Bernard Pages ou Claude Viallat m’ont fait découvrir puis apprécier ce mouvement. Mais à l’élégance aride d’un Sol-Mur, je préfère chez Louis Cane la peinture composée de chairs, de liquides et de sang, dont se gorge la série des Accouchements. Le corps donc. C’est le thème récurrent de ma collection. La chair qui attire, chez Nazanin Pouyandeh et Pat Andrea ; la chair qui souffre pour Ronan Barrot ; le liquide séminal et le liquide amniotique, le sang épais comme de la cire dans les toiles de Ronald Ophuis ; le sang qui baigne dans la terreur du Clown et l’Âme d’Axel Pahlavi. La chair également avec Marcella Barceló, Barbara Navi ou Atsoupé.
Oui, un ensemble de crânes et de squelettes, qui n’a rien à envier au cimetière des Capucins de Rome ! Des œuvres signées Valérie Favre, Ronan Barrot, Orsten Groom, Omar Ba et bien d’autres. Je dirais que le médecin d’aujourd’hui partage avec le moine d’autrefois la connaissance intime du bûcher des vanités que déclenche el triunfo de la muerte (« le triomphe de la mort »). Je recherche une chimère qui me permet d’affronter la morosité du monde, le spectre de la finitude et de l’oubli.
Mon métier de cancérologue n’est sans doute pas étranger à mes intentions. Je recherche dans l’art une pérennité, susceptible d’équilibrer une pratique professionnelle qui me place devant la tragique brièveté des corps. Pourtant, ce n’est pas l’œuvre qui est au cœur de ma démarche mais celui qui l’a créée, l’artiste.
C’est tout à la fois m’entourer d’un monde du « beau », défendre des artistes en leur permettant d’avoir une carrière stable, prêter leurs œuvres, mais aussi montrer leur travail à un public différent du monde des collectionneurs ou des musées.
Certains tableaux de la collection ont été présentés lors de deux expositions en 2011 et 2013, dans les locaux de la plus grande agence de la Société générale de Nice. Ce lieu me semblait en effet propice pour atteindre des gens qui ne viennent pas pour voir de l’art. Mais j’ai aussi prêté des œuvres à des institutions muséales. J’ai également créé un fonds de dotation, dans le but de préserver les œuvres de certains artistes, français ou étrangers résidant en France, pour lesquels je pense que la carrière n’est pas encore reconnue. Le lien avec les artistes est pour moi essentiel. Je les connais tous et j’échange régulièrement avec eux. Ce sont eux ma boussole éthique. L’art est politique : il reflète un lien avec le passé et le présent. Il nous offre une vision du monde différente de la nôtre.
Quelques mots sur François Fauchon
« Collectionneur cambrioleur », tel était le titre de l’exposition présentant sa collection en 2020 au Suquet des artistes, à Cannes. Une centaine d’œuvres de sa collection y montraient son goût revendiqué pour la peinture figurative. Parmi les peintres français ou étrangers résidant en France qu’il collectionne, François Fauchon a su tisser avec certains d’entre eux des liens fidèles. Qu’il s’agisse de la génération des aînés, comme Pat Andrea ou Gérard Garouste, parrain du Cercle Castellion qu’il a créé en 2011, ou des plus jeunes, nés dans les années 1970, tels Ronan Barrot, Damien Deroubaix, Daniel Clarke, Gregory Forstner, Gilles Miquelis, Axel Pahlavi ou Stéphane Pencréac’h. Certaines de leurs œuvres ont été prêtées au Mo.Co. de Montpellier pour l’exposition « Immortelle », qui représentait un panorama ambitieux de cette génération.
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François Fauchon : « Je cherche une chimère pour affronter le spectre de la finitude »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°770 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : François Fauchon : « Je cherche une chimère pour affronter le spectre de la finitude »