PARIS
La galerie David Zwirner, qui représente l’artiste belge depuis 2004, lui offre son premier solo show en France.
Paris. Venu à l’art sur le tard – il avait près de 30 ans et une formation d’architecte –, Francis Alÿs (né en 1959 en Belgique, il vit à Mexico) bénéficie depuis le début des années 2000 d’une reconnaissance internationale. La Tate Modern, à Londres en 2010, et le Moma, à New York en 2011, ont chacun accueilli sa rétrospective « A Story of Deception » et il représentera la Belgique à la Biennale de Venise en 2022. Son travail a cependant été très peu montré en France, au point que cette exposition – la quatrième que lui consacre David Zwirner dans l’un de ses espaces – est une première en France. « Don’t Cross the Bridge Before You Get to the River » a déjà beaucoup voyagé, de la Biennale de Marrakech (2009), à celle de Sharjah, aux Émirats arabes unis (2013), mais aussi au Musée des beaux-arts de l’Ontario à Toronto, à la Triennale de Milan, ou récemment au Tai Kwun – Centre for Heritage and Art à Hongkong.
Francis Alÿs, dont la démarche a une forte dimension politique, s’embarque en général pour des projets collaboratifs au long cours, parfois à proximité de zones de conflit et peu compatibles avec le rythme des galeries. Ce solo itinérant rassemblant des peintures, des sculptures et des vidéos constitue une exposition clé en main représentative de son œuvre. Le film qui lui donne son titre a été tourné en août 2008. On y voit un groupe de gamins chahuteurs s’enfoncer dans les vagues en direction des rivages du Maroc. De l’autre côté de la Méditerranée, une autre petite troupe se jette à l’eau. Chacun des enfants porte un jouet en forme d’embarcation, confectionné à partir d’une chaussure. Leur progression voudrait abolir une distance entre les deux rives qui restera, bien sûr, infranchissable. Souvent « réquisitionnés » dans les films de l’artiste, les enfants sont des figurants improvisés dont l’ingénuité enthousiaste conforte l’irrationalité du scénario. Lequel pourrait se résumer ainsi : on dirait que l’on pourrait créer une chaîne humaine reliant, entre Tarifa et Tanger, les deux rives du détroit de Gibraltar. À partir d’un constat géopolitique, Francis Alÿs, filme une idée, une épopée dérisoire et qui nous coupe cependant le souffle en nous mettant la tête sous l’eau.
C’est le même sentiment d’empathie, physique, que l’on éprouvait en regardant Tornado (2010) dans lequel caméra à l’épaule, l’artiste cherchait à pénétrer à l’intérieur d’une tornade, au plus près de l’œil du cyclone. Ou avec When Faith moves Mountain (2002), qui alignait dans le désert sous un soleil de plomb une foule d’étudiants péruviens armés de pelles pour tenter de déplacer une dune. Autant vouloir vider l’océan avec une petite cuillère. Mais le but inatteignable s’efface devant la puissance de l’élan collectif, comme si l’artiste parvenait, de fait, à filmer la condition humaine.
Francis Alÿs ne commercialise pas ses vidéos, que l’on peut visionner sur son site Francisalys.com. Ses dessins et ses peintures servent à en financer la production, selon un mode de fonctionnement comparable à celui de Christo. Le geste de création de ses « produits dérivés » est cependant crucial, à la fois parce qu’il est solitaire et parce qu’il prépare et accompagne le projet dans la durée. Les petites toiles présentées ici, dans une palette lumineuse de bleus, de verts et de roses délicats, évoquent par leur finesse et leur fantaisie la partie poétique de l’œuvre de Francis Alÿs, indissociable de son engagement.
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Francis Alÿs, filmer la condition humaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Francis Alÿs, filmer la condition humaine