Confrontés à une clientèle qui évolue, en termes de nationalité comme de milieu socio-professionnel, et devient de plus en plus exigeante, les antiquaires doivent s’adapter.
PARIS - Image d’Épinal. Il y a une génération, l’antiquaire français était encore perçu comme un notable chez qui on pénétrait, transi de respect, sur rendez-vous et sur la pointe des pieds, pour traiter à voix basse d’affaires de famille. Vinrent les années quatre-vingt, avec en arrière-fond la concurrence de plus en plus rude des ventes publiques, le dollar à 10 francs et de riches collectionneurs américains, suivis de près par une clientèle italienne aisée, puis la crise de 1990 et la stagnation du marché.
À l’ère du fax en couleurs, des décorateurs, des grands salons et de l’internationalisation grandissante du marché, l’antiquaire de Paris, comme celui de province, a beau garder un air de grande respectabilité – habillé avec distinction, coiffé avec soin, et d’une courtoisie à toute épreuve – tout le reste a changé. Il doit s’intéresser sérieusement à l’histoire de l’art. Il est "médiatisé".
"Par le passé, les antiquaires se détachaient trop de la réalité et travaillaient repliés sur eux-mêmes. Or, le marché évolue. Les clients viennent de nombreux pays, le marché n’est plus français mais européen, pour ne pas dire international", estime le marchand parisien Jean-Luc Mechiche.
"Nous devons garder les grandes valeurs de notre métier, les connaissances, la garantie de qualité, servir de conseil, fidéliser notre clientèle. Mais nous avons besoin de montrer également que nous existons, de faire des manifestations, même en dehors de la France, et d’exister pour les médias", ajoute-t-il.
Le spécialiste en dessins Bruno de Bayser a vu une évolution radicale dans son domaine. Le collectionneur traditionnel d’œuvres sur papier – typiquement de profession libérale – ayant été "laminé par le fisc" depuis plus de dix ans, les marchands doivent chercher une clientèle ailleurs.
Ce sera très joli chez vous
"Le marché du dessin n’a pas mal évolué depuis dix ans. Mais la clientèle cultivée, qui venait pour discuter, connaître et ensuite acheter, et qui constituait notre pain quotidien, a disparu, ce dont nous ne nous sommes pas bien rendu compte pendant la période d’euphorie des années quatre-vingt, quand tout se vendait, et vite", constate-t-il. "Malheureusement, on n’avait pas travaillé en profondeur pour trouver de nouveaux clients. Aujourd’hui, on a besoin de se montrer, d’aller vers le public. Or, un salon est un peu comme un supermarché, le client va vers des objets, plutôt que chez un marchand."
Selon Jacques-Henri Pinault, libraire et président du Syndicat national des antiquaires depuis 1991, le nombre d’antiquaires exerçant en France, soit quelque 14 000, reste constant. Le Syndicat national de l’antiquité et de l’occasion revendique 4 000 adhérents, et le Syndicat que préside Jacques-Henri Pinault compte 400 membres. On constate, en revanche, un nombre croissant de brocanteurs plus ou moins occasionnels, qui vivent en marge.
"L’évolution la plus notable est l’augmentation du nombre de personnes qui travaillent dans l’antiquité et la brocante sans patente, et fréquentent les foires communales qui se tiennent une fois par an avec la simple autorisation du maire, par exemple. Ces marchands font un tort considérable aux antiquaires petits et moyens", estime Jacques-Henri Pinault.
"Nous assistons également à une raréfaction de marchandise dans les régions, surtout les moins riches, et à la disparition des antiquaires de province, qui avaient une marchandise saine et de solides connaissances. Les Parisiens, en revanche, font mieux leur métier que les générations précédentes. Ils ont compris la nécessité d’être pédagogue."
Pour Patrice Bellanger, grand spécialiste de la sculpture, ce sont surtout les connaissances de plus en plus grandes du client, et son exigence d’en savoir plus, qui ont obligé les antiquaires à changer d’approche.
"La profession est toujours la même au départ ; elle passe par un apprentissage, l’acquisition de connaissances, et beaucoup de pragmatisme. Mais les clients sont plus cultivés, mieux renseignés, plus exigeants qu’avant. Ils nous demandent d’être de petits historiens d’art. Aujourd’hui, un bon antiquaire ne marche plus au sentiment, n’est plus un simple découvreur."
"Il doit se documenter, il devient la mémoire de l’œuvre d’art.C’est ce qui va nous différencier à long terme des commissaires-priseurs. Eux, ils peuvent faire écrire un descriptif mais ils ne passent pas, comme nous, un après-midi à expliquer une œuvre à un client. Le métier évolue inexorablement vers cette professionnalisation ; on ne peut plus se contenter de dire, comme le faisaient nos parents, "ce sera très joli chez vous".
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France : des notables aux professionnels
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : France : des notables aux professionnels