Lot phare de la vente du 17 mai à Paris chez Sotheby’s, une coupe sur pied en argent, autrement appelée « hanap », se présente comme un témoignage inédit à ce jour de l’orfèvrerie profane du bas Moyen Âge. « Que ce soit dans les collections publiques ou les fonds privés, il semble qu’aucune pièce d’orfèvrerie ne puisse lui être comparée sur le plan tant de l’ancienneté que de l’iconographie », souligne le spécialiste Thierry de Lachaise. En effet, les pièces d’orfèvrerie médiévales connues, notamment au Musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny et au Louvre, à Paris, datent au plus tôt du XIVe siècle.
Un « saint Graal » ?
Le décor latéral de ce hanap dessine des étoiles concentriques à huit pointes dont les bras sont chargés de grains de grenade, tandis que le médaillon central figure un animal fantastique superbement gravé. Selon Michel Pastoureau, grand spécialiste du bestiaire médiéval, il s’agit d’un basilic, bête fabuleuse hybride (issue d’un coq et d’un dragon ou serpent) « assez courante dans l’iconographie des XIIe et XIIIe siècles, plus rare ensuite ». D’après l’expert-consultante Laure Chevalier, de la société Agalmata, « si l’ornementation n’offre aucune indication qui puisse être exploitée à des fins de localisation précise, elle fournit néanmoins des indices de datation caractérisant une production romane. La figure animale hybride appartient au bestiaire qui orne les miniatures françaises des XIe et XIIe siècles ». La forme de l’animal évoque même une lettrine, un « G ». Pour « graal » ? À cette époque, le « graal » est un nom commun désignant une pièce de table. Selon Élisabeth Taburet-Delahaye, directrice du Musée national du Moyen Âge et spécialiste d’orfèvrerie médiévale, le graal avait probablement la forme d’un hanap à pied, peut-être doté d’un couvercle. Si le légendaire « saint Graal », tel qu’il est décrit dans les romans arthuriens du XIIe siècle, ressemble beaucoup à ce hanap, c’est que sa représentation s’inspire de pièces d’orfèvrerie contemporaines. Aucune n’est conservée, à l’exception de cet exemplaire sauvé des destructions liées aux guerres, vols, invasions et à l’évolution du goût.
Morale et enchantement
« Le décor iconographique de cette coupe nous entraîne au cœur de la pensée médiévale complexe, à la fois moralisatrice et enchanteresse, à l’époque de l’écriture de la légende de la Table Ronde et du roi Arthur », s’enthousiasme Thierry de Lachaise. Ce hanap renvoie aussi aux « Proverbes de l’Ancien Testament, attribués à Salomon, figure du roi juste et sage, aussi magicien ; ils jouissaient d’une grande faveur dans la France du XIIe siècle », rapporte Laure Chevalier. L’un des versets bibliques tirés du premier livret des sages des Proverbes avertit le buveur de vin « dans le hanap » qu’il se doit de consommer avec modération, s’il ne veut pas se faire mordre par le basilic. Notons qu’au XIIe siècle, les iconographes érudits puisaient leur imagerie aussi bien dans la Bible que dans les légendes locales. Cette rarissime coupe a obtenu l’autorisation de sortie du territoire national. Mais cela ne signifie pas que les musées français ne voudront pas la préempter.
Date d’exécution : vers 1180
Technique : argent martelé, repoussé, estampé, ciselé et gravé
Dimensions : 18,6 cm (diam.) ; 8 cm (H.)
Poids : 260 g
Provenance : Indre-et-Loire
Expert : Thierry de Lachaise
Estimation : 300 000 à 400 000 euros
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Focus: Orfèvrerie médiévale Hanap en argent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Focus: Orfèvrerie médiévale Hanap en argent