Le nom de Stanley J. Seeger est à peu près inconnu des acteurs du marché lorsque surgit, dans une vente à New York en 1993, un ensemble de 88 Picasso. Collectionneur discret, Seeger a commencé à réunir des œuvres d’art dans les annéees 50. Il est alors étudiant à Princeton. Les Picasso, eux, ont été acquis au cours des années 80, donc récemment, et entre temps, après le pic de l’année 90, la peinture moderne s’est effondrée. Certes, les ténors échappent au massacre mais le marché peut-il absorber autant d’œuvres du maître de Vallauris sans risquer l’overdose ? Les avis négatifs ne manquent pas et Sotheby’s, dit-on, prend un pari risqué. Or la vente est un succès : 32 millions de $ de produit, pas un seul invendu et des estimations souvent doublées. Cette fois, Stanley J. Seeger revient avec 130 œuvres acquises en vente publique dans les deux dernières décennies, les prix d’achat sont donc connus. Cette dispersion à New York chez Sotheby’s les 8 et 9 mai va permettre une analyse très fine du marché, à un moment où les turbulences boursières viennent de faire partir en fumée des milliards de dollars. Au menu, quelques chefs-d’œuvre dont une gouache de Miró, Nocturne, de la série des Constellations peinte entre janvier 1940 et septembre 1941. Achetée chez Sotheby’s Londres 361 800 $ en 1983, elle est annoncée entre 2,5 et 3,5 millions. De même, une nature morte de Braque, Verre, pipe et journal de 1914, payée 758 620 $ il y a tout juste 15 ans, repart au feu assortie d’une estimation entre 1,5 et 2 millions. En revanche, pour d’autres tableaux, on n’attend aucune plus value. Ainsi d’un fusain de Picasso de 1906, Jeune Homme et cheval, payé 926 500 $ chez Christie’s à New York en 1997 dont l’estimation basse ne dépasse pas 900 000 $. Pour certains, et cela est particulièrement intéressant, on annonce sans complexe une moins value. C’est le cas d’un Picasso de 1901, Femme assise, acheté en 1994 1,7 million (Sotheby’s Londres), évalué aujourd’hui 1,2 à 1,6 million. Plus caractéristique encore, un Jasper Johns de 1959, Colored Alphabet, acheté en mai 1989 alors que le marché était en pleine euphorie pour 3,5 millions de $ (Christie’s New York) est sagement revenu entre 2 et 3 millions. En revanche, on ne connaît pas le prix d’achat du tableau majeur de cette collection, un triptyque de Francis Bacon de 1979, Study of Human Body, qui devrait s’envoler entre 4 et 6 millions de $. De son côté, Christie’s a levé un formidable Picasso. Ce portrait d’Olga (1923) a été gardé par l’artiste jusqu’à sa mort, vendu par les héritiers à Wildenstein, puis cédé à un collectionneur privé. Cette œuvre, muséale, n’est jamais passée en vente publique et l’estimation est à la hauteur de l’événement : elle tourne autour de 30 millions de $ (New York, 9-10 mai).Chez Phillips, le 7 mai, Heinz Berggruen, collectionneur-marchand mondialement connu, se sépare d’une partie de ses tableaux. Berlinois de naissance, il part aux Etats-Unis en 1936, revient en Europe avec l’armée américaine en 1944 et s’installe à Paris. Au cours d’un demi siècle, Berggruen a réuni un ensemble emblématique de la peinture moderne qui a eu les honneurs de nombreux musées, de la National Gallery au Metropolitan. Il a donné à l’Allemagne, pour une somme symbolique, sa collection de tableaux du XXe conservée aujourd’hui dans un musée spécialement créé à cet effet aux environs de Berlin en face du château de Charlottenburg. En revanche, il vend aujourd’hui, au bénéfice de ses enfants, des œuvres du XIXe siècle. Deux Van Gogh et cinq Cézanne vont ainsi partir à New York chez Phillips le 7 mai. Trois Cézanne se détachent : une Vue de la Montagne Sainte-Victoire (vers 1888-90) qui annonce à la fois le cubisme et l’abstraction (35 à 45 millions de $), Fillette à la poupée (12 à 18 millions) et L’Allée à Chantilly (10 à 15 millions). De Van Gogh, Le Jardin public, peint à Arles en 1888, qui a appartenu à Johanna Van Gogh et Paul Cassirer, est annoncé entre 30 et 40 millions de $, et un dessin, Arles, Vue des Champs de blé, est estimé 4 à 6 millions de $. Parmi les autres pièces phares de la vente (42 lots au total), quatre proviennent de la collection Kravis dont un Renoir, La Liseuse, acheté chez Christie’s en novembre 1989 14,3 millions et estimé prudemment entre 12 et 18 millions. Avec cette vente, le nouveau chairman de Phillips, Simon de Pury, nommé en janvier dernier, part sur les chapeaux de roue. Le contexte boursier lui sera-t-il favorable ? Là est la question.
- Sotheby’s, New York, 8-9 mai, Christie’s, New York, 9-10 mai et Phillips, New York, 7 mai.
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Feu sur la peinture moderne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°526 du 1 mai 2001, avec le titre suivant : Feu sur la peinture moderne