Les quelques expositions pour enfants programmées ce mois-ci dissimulent mal l’absence de considération des musées pour ce public, en dépit de l’effort consenti pour leurs services pédagogiques.
Il n’est peut-être pas totalement anecdotique de noter que les deux artistes à l’affiche du Musée en herbe ces jours-ci, Victor Vasarely et Carlos Cruz-Diez, sont tous les deux un peu boudés par les grandes institutions muséales de l’Hexagone. L’œuvre de Vasarely n’a pas été montrée dans un musée parisien depuis vingt ans, et Carlos Cruz-Diez attend toujours que son travail soit exposé et reconnu comme il l’a été, par exemple, au Museum of Fine Arts de Houston l’an dernier. Ces deux artistes majeurs choisis par Sylvie Girardet, la directrice du Musée en herbe, ont en commun leur souci d’être accessible à tous. Y compris aux plus petits. Or, « lorsqu’on s’occupe des enfants ou qu’on entend faire de la vulgarisation, en France, on n’est pas vraiment pris au sérieux », avance Sylvie Girardet.
Le dessinateur de livres pour enfants Hervé Tullet, dont les performances sont réclamées de Londres – où il a été accueilli par la Tate Modern – à Delhi, s’investit lui aussi dans des expositions – dernièrement à Villeurbanne, bientôt, à Reims – qui ne passent pas le périphérique. Alors même que ses ouvrages, dont certains sont des best- sellers, figurent dans la plupart des librairies des grands musées d’art moderne et contemporain, de Paris à New York en passant par Berlin. « Les musées français ne s’intéressent pas vraiment à la littérature jeunesse », constate-t-il.
D’indispensables services pédagogiques
Cofondatrice du Musée en herbe créé en 1975 – d’abord au Jardin d’acclimatation avant de rejoindre, il y a quatre ans, la rue Hérold dans le 1er arrondissement de Paris –, Sylvie Girardet se défend d’avoir voulu faire « un ghetto pour enfants ». « Notre credo, c’est l’art pour tous, de 3 à 103 ans », souligne-t-elle. Il n’empêche, le lieu, qui propose des ateliers et des visites guidées dès l’âge de deux ans et demi, fut en son temps un pionnier de la pédagogie active. Jeux de piste, manipulations ludiques, tout y est fait, même l’accrochage, à hauteur de marmot.
Depuis, il est devenu impensable pour un musée de ne pas avoir de service pédagogique. Le Centre Pompidou propose ainsi des ateliers et des parcours conçus spécifiquement pour les enfants de 2 à 12 ans, programmés les mercredis, samedis et dimanches après-midi et pendant les vacances scolaires. Le Louvre organise des cycles d’ateliers et des visites sous la forme de contes. Orsay a également un planning d’activités à l’attention des plus petits. Tout comme la Gaîté-Lyrique qui, avec « Capitaine Futur », lancé à la rentrée, s’adresse « aux adultes de demain » de 18 mois à 10 ans à travers des initiatives ciblées selon les tranches d’âge. Le dispositif va cependant au-delà de l’accompagnement puisqu’il comprend des propositions artistiques et un espace réservé aux enfants, avec en point d’orgue trois semaines d’exploration intense sous la forme d’un festival en mai 2013. Ici, les enfants peuvent prolonger leur visite en se connectant sur le magazine numérique de la Gaîté. La collection « La promenade au musée », éditée par la RMN, invite, elle, à « un voyage onirique signé par un artiste de talent ».
Toucher par ricochet les adultes
Reste que le public junior n’est que rarement intégré en amont dans la réflexion des conservateurs qui font les expositions. C’est un étrange paradoxe. Bien que les bambins soient placés au cœur de notre système de représentation sociale, objets d’attentions de plus en plus pressantes des marques de luxe, et alors même que le secteur de l’édition jeunesse cartonne, les grandes expositions sont rarement, voire jamais, pensées d’abord pour les enfants.
Un contre-exemple récent pourrait pourtant aider à inverser la tendance. « L’art contemporain raconté aux enfants », actuellement à voir à la Sucrière de Lyon après avoir été créé avec succès au Centre Pompidou-Metz en 2011, a été imaginé par son auteur, l’artiste Gianni Colosimo, comme une vision en soi. Le parcours agit à la façon d’une transposition de quelques œuvres iconiques du XXe et XXIe siècle, de Marcel Duchamp à Andy Warhol, en passant par Georg Baselitz, Joseph Beuys, Marcel Broodthaers, Maurizio Cattelan, Daniel Buren, Gino De Dominicis, Damien Hirst, Yves Klein, Jeff Koons, Jannis Kounellis… Le carrosse de La Mozzarella in Carrozza de Gino De Dominicis devient ainsi un landau, les rayures de Buren sont reprises sur un décor de cabines de bain et de transats intitulé La Jolie Petite Plage de Daniel, tandis que des pièces d’or en tas ici et là semblent suggérer la valeur d’échange réelle de ces symboles de l’art.
Si la dimension critique vis-à-vis du marché n’est pas absente du travail de Gianni Colosimo, son intervention vise surtout « à donner une nouvelle vision de l’œuvre d’art dans laquelle l’enfant peut s’impliquer d’une manière ludique, en l’interprétant par son propre raisonnement […]. C’est une exposition esthétiquement didactique pour intéresser un public d’enfants, mais aussi un public d’adultes, au merveilleux et parfois un peu « obscur » univers de l’art contemporain », précise l’artiste.
« L’exposition est très bien ressentie, assure Patricia Houg, la directrice de la Sucrière. Il semblerait que les visiteurs adultes repartent avec une autre lecture de l’art contemporain. Pour le coup, ils se disent captivés, amusés et pour certains réconciliés avec l’art contemporain. C’est toujours troublant de constater à quel point l’art peut déclencher un rejet épidermique et qu’un certain public ne s’autorise pas l’accès à l’art par peur de son ignorance ! »
Une chose est sûre : que l’on soit ou pas un habitué des lieux – environ 70 % des Français ne mettent jamais les pieds dans un musée –, il ne faut pas hésiter à amener les enfants voir une exposition. Eux y trouvent toujours leur compte.
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Expos : les enfants d’abord ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Expos : les enfants d’abord ?