Dans le domaine du design, s’imposent les noms de Philippe Denys et Yves Macaux. Installé depuis 1992, Philippe Denys incarne sans doute ce qu’on appelle la Belgitude, pour paraphraser Jacques Brel : flexibilité polyglotte, absence totale d’esbroufe, curiosité, toujours sur le qui-vive. Mais à ce portrait belge, Philippe Denys ajoute sa touche personnelle d’érudition et son sens du rebond. À une époque, il n’était pas rare de le croiser dans une petite vente à Glasgow et de le retrouver l’après-midi même à Turin. « J’ai choisi de travailler à Bruxelles plutôt qu’à Paris pour ne pas être tributaire des mêmes adresses et de Drouot où tous les marchands se retrouvent. Le fait d’être à Bruxelles me pousse à plus de mobilité, de curiosité. » Docteur en langues slavistiques, il sait expliquer, avec un rare talent de pédagogue, le tohu-bohu du début du XXe siècle, les grands bouleversements esthétiques menant à l’affaiblissement progressif des particularismes nationaux. Sa galerie est le parfait exemple de cette cohérence. On trouve une communauté d’esprit entre le paravent des années 1950 de l’Italien Osvaldo Borsani (30 000 euros), le service à thé et café de l’orfèvre belge Philippe Wolfers (13 000 euros) ou le salon de Hans Wegner (11 000 euros). Les objets tournent toutes les trois semaines au gré des ventes et des nouveaux arrivages.
Le même souci d’excellence accompagne Yves Macaux, spécialisé depuis 1996 dans la Sécession viennoise. Comme la plupart des marchands belges, sa clientèle locale n’excède pas 10 %, même si elle s’avère active. Yves Macaux se ressource pour un tiers des pièces en Autriche, tout en sillonnant l’Europe entière. Il peut présenter une chaise de Serrurier-Bovy de 1909 « dans son jus » pour 25 000 euros, comme récemment au Pavillon des antiquaires des Tuileries. Depuis deux ou trois ans, le marchand s’attache aux meubles dotés de provenance.
Son espace foisonne d’objets exceptionnels à des prix plus « internationaux » que belges.
Il est sans doute un des rares marchands locaux à présenter pour 150 000 euros une armoire blanche de Koloman Moser (1904) réalisée en cadeau de mariage pour Margarethe Hellmann.
Le marchand n’a-t-il d’ailleurs pas vendu l’an dernier un cabinet doré de 1912 de Joseph Hoffmann, emporté par le milliardaire américain Ronald Lauder pour sa Neue Galerie à New York.
Malgré quelques antécédents d’amateurs comme Anne-Marie Gillon-Crowet, détentrice d’une grosse collection de meubles Art nouveau, la clientèle locale est peu portée sur le design. Prompts à acheter l’art contemporain le plus pointu, les Belges se montrent plus frileux face aux arts décoratifs actuels. Pourvoyeurs de nombreux professionnels français et américains, les marchands locaux proposent des tarifs extrêmement attractifs. Chez Jacques Dewindt, dont le regard cohérent et rigoureux force le respect, on peut dénicher une paire de chaises de 1952 du designer américain William Katavolos pour 1 600 euros ou encore un bureau de Jean Prouvé pour 28 000 euros. Marc Heiremans, auteur de nombreux ouvrages de référence sur le verre de Murano, s’est établi depuis cinq ans à Bruxelles.
Les objets voguent chez lui de 500 à 25 000 euros. Sa clientèle se compose pour 85 % de marchands américains et parisiens. Bien qu’il ne trouve en Belgique que 5 % de ses acheteurs, il y déniche 70 % de sa marchandise.
Les faibles loyers bruxellois, quatre fois moins chers qu’à Paris, une certaine douceur de vivre et
un climat professionnel plus collégial, conduisent beaucoup de marchands étrangers à établir leurs quartiers dans la capitale européenne. Malgré la faiblesse de la clientèle locale pour le design,
la galerie Autegarden-Rapin vient d’acquérir un espace de 450 m2 avenue Louise, une des artères les plus cossues de Bruxelles. Elle y présentera dès le mois de mai sa spécialité, le design italien. Vivant jusqu’à présent à cheval entre Paris, Milan et Bruxelles, le tandem traite à 95 % avec les marchands. « En m’installant dans un espace aussi important, je souhaite reproportionner ma clientèle et avoir 50 % de particuliers, mais ne pas m’aliéner la clientèle marchande qui réagit vite et paye rapidement », précise Philippe Rapin. Leurs prix de 1 000 à 20 000 euros devraient séduire les particuliers, malgré une revalorisation inévitable prévue à l’inauguration du nouvel espace. La souplesse du marché bruxellois a aussi favorisé l’installation en 2000 des marchands spécialisés en art primitif, les Américains Kevin Conru et Wayne Heathcote qui ne reçoivent que sur rendez-vous. « Lorsqu’on est en Belgique, on se doit de bouger plus, d’être vraiment international », indique Kevin Conru. 50 % de ses clients sont basés aux États-Unis et le reste s’éparpille entre l’Europe et l’Australie. Fin connaisseur de l’Afrique du Sud et des arts indonésiens et océaniens, on trouve chez lui des objets inhabituels sur le marché belge.
Ses prix voguent de 10 000 à 500 000 dollars. « La position de carrefour géographique de Bruxelles est intéressante. En plus à Bruxelles, nous ne sommes pas obligés d’avoir la galerie ouverte tous les jours, on peut fonctionner sur rendez-vous, ce qui serait inenvisageable à Paris », déclare de son côté Volker Cubash, gérant de la galerie Heathcote. Il n’exclut pas un éventuel repli à long terme vers Paris, place sans doute plus adaptée à l’art océanien.
- Galerie Autegarden-Rapin, 146 avenue Louise, tél. 00 32 477 22 83 58. - Philippe Denys, 1 rue des Sablons, tél. 00 32 2 512 36 07. - Jacques Dewindt, 79 rue Lebeau, tél. 00 32 25 13 36 12. - Marc Heiremans, 25 rue Joseph Stevens, tél. 00 32 2 512 80 58. - Yves Macaux, 43 rue de la Régence, tél. 00 32 475 93 37 45.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : ... Et le design