Vous retracez l’histoire de la galerie Beaubourg dans un récent ouvrage en trois volumes (1). Pourquoi dresser ce bilan aujourd’hui plutôt qu’en 2004, lorsque vous avez fermé votre espace à Vence ?
Lorsque nous avons quitté Vence pour Paris, il ne s’agissait pas d’une délocalisation commerciale, mais d’un changement de vie. Quand, en 1991, nous avions quitté Paris pour Vence, il s’agissait aussi d’un changement de vie, dicté par la crise. Nous pensions au départ créer une fondation, car nous croyions que le mot galerie n’allait bientôt plus exister. On pensait qu’il fallait trouver un autre moyen de rester dans l’art. Le marché a repris, mais nous avons éprouvé une lassitude du succès : on recevait l’été entre 300 et 500 personnes par jour, on serrait des mains à longueur de temps. Le retour à Paris s’est fait de manière souple, cool, sans projet immédiat. Nous avons décidé de ne plus recevoir le public. Avoir de temps en temps des coups de cœur pour un artiste et le montrer, pourquoi pas. Mais nous voulions le faire sans régularité. On a dû montrer trois artistes en quatre ans. En 2004-2005, je ne pensais pas encore que j’allais adopter cette attitude passive face au marché. Je me suis rendu compte qu’il était difficile de trouver de nouveaux artistes. J’ai été trop gâté. Très tôt, j’ai eu à m’occuper de César, Tinguely, Niki de Saint-Phalle. Tous ont été mes amis, mes complices. Trouver aujourd’hui des gens qui aient ce souffle, cette envergure, cette générosité, ce n’est pas facile.
Vous aviez publié chez Ramsay, en 2002, un essai acerbe, L’Art content pour rien. Portez-vous encore ce regard acide sur l’art actuel ?
Oui. Depuis que nous avons quitté Vence, nous séjournons de plus en plus à Venise. Quand on passe ses journées au milieu du Titien ou de Tiepolo, tout d’un coup un pavillon moyen à la Biennale de Venise paraît difficile. On est dans une période faible de l’art actuel. J’ai une grande nostalgie pour les années 1960 où il y avait en art, mais aussi dans le théâtre et la philosophie, des noms irremplaçables. Peut-on trouver aujourd’hui l’équivalent de Merce Cunningham, Samuel Beckett ou Albert Camus ? Je suis maintenant spectateur et non acteur d’un film qui me concerne moins. Mais sur le plan marchand, et encore plus comme collectionneur, je continue à acheter des œuvres, notamment d’Ulrich Lamsfuss, Jonathan Meese, Xavier Veilhan, Gelitin, Katia Bourdarel ou Marc Desgrandchamps. J’achète, j’essaye, ça tient ou ça ne tient pas, et alors je revends.
Dans vos livres Les Marchands d’art en France — XIXe et XXe siècles (La Différence, 1998) et Pour la galerie (Plon, 1993), vous mettiez en exergue l’importance des galeries. Sont-elles toujours essentielles aujourd’hui ?
La galerie est encore un lieu important, mais cela a beaucoup changé. Il y a maintenant des galeries-trusts qui tiennent le marché de l’art. À leur suite, elles entraînent deux ou trois enseignes importantes. Tout cela est tellement différent de mon histoire des marchands. À partir des années 1980, l’argent a transformé les rapports entre les créateurs et leurs marchands. Pour les artistes, un marchand est désormais là pour mettre en valeur leurs œuvres le plus vite possible. Sinon, ils en changent. Et si changer ne suffit pas, ils deviennent leurs propres marchands. Mais bon, il y aura toujours des galeries, car c’est un métier passionnel. Il y aura toujours des gens qui pensent qu’on les attend.
Pensez-vous que les Nouveaux Réalistes, que vous avez défendus, soient à leur juste place ?
À leur place, cela veut dire quoi ? Sont-ils chers, ou sont-ils considérés ? Chers, ils ne le sont pas. Considérés, ils le sont dans le monde entier. J’étais ravi de voir un Tinguely dans la collection de François Pinault au Palazzo Grassi (Venise). À l’avenir, il y aura des Nouveaux Réalistes dans les grosses collections de ce type. En 2010, on verra une exposition « Arman » au Centre Pompidou. Il est impensable qu’un musée aussi important n’organise pas des monographies de chacun des Nouveaux Réalistes. Mais cela vient tard. Un retard typiquement français. En 1981, lorsque Jack Lang a eu l’intelligence d’interroger des acteurs du monde de l’art pour se faire une idée de la crise, je lui ai dit que les Allemands avaient misé sur quatre ou cinq artistes, les Italiens sur un mouvement, pendant que nous, dans le même temps, nous montrions soixante-douze artistes en 1972, et dans d’autres manifestations cinquante à cent créateurs. Quand on en montre autant, on ne peut pas en retenir autant. Les deux ou trois perles sont perdues et ne jouent pas les locomotives. En revanche, quand on martèle les mêmes noms, ils apparaissent comme des éléments porteurs du pays.
(1) Histoire de la galerie Beaubourg, Pierre Nahon, Éditions de la Différence, 3 vol. de 300 p. chacun, 1 800 ill., 120 euros, ISBN 978-2-72911-848-8
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Entretien avec Pierre Nahon, galeriste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : Entretien avec Pierre Nahon, galeriste