La galerie que vous avez ouverte en août dernier à Paris (1) avec Peter Bertoux s’appelle Objet de production. Est-ce à dire que la production en est l’axe majeur ?
L’aspect « production » était dominant en 2004, lorsque j’ai créé l’association Objet de production, mais elle ne l’est plus. Pendant longtemps j’étais rétif à la mode de la production, m’intéressant plus à la diffusion. Mais le commerce est aussi nécessaire pour la diffusion. L’acte de signer un chèque pour acheter une œuvre est symboliquement important. Il s’agit d’un moment beau, riche de sens. Acheter une œuvre, c’est soutenir une économie artistique. Au début, je mettais en avant cette hybridité, mais les gens demandent souvent qu’on choisisse un camp. Je le comprends, ce sont deux économies différentes, argent public et argent privé. L’hybridité est un fonctionnement inhérent au XXIe siècle. Pendant les cinq premières années de notre existence, nous avons vendu des pièces, mais c’est une activité qui ne peut se faire de manière bricolée. Il fallait franchir le cap et monter une structure commerciale. Nous jouons une partition très claire. L’association Objet de production existe encore, tandis que la partie commerciale est gérée par la galerie Poggi-Bertoux Associés. Nous représentons deux générations d’artistes, certains plus jeunes comme Cédrick Eymenier et Isabelle Arthuis, d’autres plus confirmés comme Kees Visser.
Objet de production est agréé depuis 2008 par la Fondation de France comme médiateur pour développer le programme « Nouveaux commanditaires » en Île-de-France. L’activité de galerie ne vous a-t-elle pas coupé de cet organisme ?
Non, pas du tout, car ce qui l’intéresse, c’est la nouvelle figure possible du médiateur qui assure la connexion avec le marché. L’idée est d’articuler les deux économies de production et de diffusion.
Pourquoi vous êtes-vous installé près de la gare du Nord alors que de nombreuses jeunes galeries choisissent Belleville ?
J’ai trouvé le lieu par hasard, et nous avons vu d’emblée son potentiel. Évidemment, l’inconvénient est d’être excentré. Nous ne bénéficions pas des circuits de visite, nous devons inciter les gens à venir. Nous organisons ainsi des rencontres, réceptions, dîners et, bientôt je l’espère, des soirées baptisées « I Think ». Quand les gens viennent, ils prennent le temps d’un vrai échange. Nous avons créé un cercle d’actionnaires, des gens qui soutiennent notre action dans le sens que lui accordait Courbet. Le quartier de la gare du Nord est cosmopolite, ancré dans une réalité sociale. Voir une photo de Sophie Riestelhuber puis, en sortant de la galerie, une communauté d’Afghans fait sens. À Berlin, les galeries sont plus aux avant-postes des villes. La gare du Nord, c’est aussi la porte ouverte sur Londres, Bruxelles, Cologne et le Luxembourg. Nous avons déjà reçu trois visites de collectionneurs avant ou après leur voyage. Isabelle Arthuis vit à Bruxelles, Kees Visser vient du nord de l’Europe. Nous sommes aussi mieux desservis que Belleville. Le 10e arrondissement et le quartier du Sentier ont un potentiel foncier important. Mais, seul, j’aurais du mal à faire venir les gens. S’il y avait au moins cinq galeries à proximité, ce serait plus facile.
Vous avez étudié le commerce de l’art au XIXe siècle. Par ailleurs, vous avez travaillé avec le marchand Pierre Nahon. Y a-t-il de profondes différences aujourd’hui dans la pratique du métier ?
Le modèle de la galerie a cent cinquante ans, et il va évoluer. Le format de la grande vitrine avec le comptoir derrière lequel se trouve une stagiaire a besoin d’être régénéré. Il y a eu de tout temps des alternatives, comme la galerie du 26, boulevard des Italiens qui, au XIXe siècle, était à contre-courant. Plutôt que de vendre des pièces, elle faisait une entrée payante, une partie étant redistribuée à l’artiste. Ce n’est évidemment pas notre modèle ! Mais il faut que le lien avec le visiteur soit retendu.
Vous êtes centralien. Pensez-vous pouvoir attirer d’anciens élèves de Centrale ou d’autres grandes écoles ?
J’anime à Centrale un séminaire intitulé « L’artiste, l’industriel et le savant ». Il faut sensibiliser les étudiants à devenir acteurs de l’art comme commanditaires, collectionneurs ou amis de musée. L’intelligence des campus n’est pas visible. Ces lieux ont besoin d’art. Une fédération des bureaux d’art des grandes écoles est en train de se mettre en place. Au sein de l’association des centraliens, nous allons créer un groupe « Art contemporain ». Les collectionneurs, il faut les créer.
(1) 115-117, rue La Fayette, 75010 Paris, tél. 09 51 02 51 88, du jeudi au samedi 14h-19h
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Entretien avec Jérôme Poggi, galeriste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : Entretien avec Jérôme Poggi, galeriste