En octobre 1999, Robert et Cheska Vallois ouvrent à New York la galerie Art déco Friedman & Vallois. Cheska Vallois revient sur l’événement et met à l’honneur Jacques-Émile Ruhlmann.
Pourquoi, voilà dix ans, avez-vous ouvert une galerie à New York en association avec le marchand Barry Friedman ? Quel bilan en tirez-vous ?
Nous avons franchi l’Atlantique parce que 70 % de notre clientèle était alors américaine. Depuis, elle s’est équilibrée entre les États-Unis et l’Europe. Par le passé, nous avions souvent été tentés par une enseigne à New York, mais nous nous demandions toujours comment nous en occuper. Lors d’un voyage, Robert déjeune avec Barry qui lui propose de monter une galerie ensemble. Il existe entre nous une confiance et un grand respect qui nous a permis de passer ces dix ans en toute harmonie. Grâce à cette galerie commune, nous avons pu approfondir nos relations avec les décorateurs américains qui étaient ravis de nous trouver sur place, surtout quand ils avaient besoin de pièces en urgence. Au début, nous pensions qu’il fallait faire des choses différentes de la galerie à Paris, mais nous nous sommes rendu compte que les gens de New York venaient chercher ce qu’ils savaient trouver à Paris.
L’ouverture de la galerie new-yorkaise n’a-t-elle pas réduit votre clientèle américaine à Paris ?
Pas du tout, car les objets ne sont pas les mêmes dans chaque espace. La galerie new-yorkaise nous a apporté des collectionneurs qui ne voyagent pas et représentent 10 % de notre clientèle là-bas. On imagine les Américains passer d’un avion à un autre : c’est une erreur. Certains de nos nouveaux clients n’étaient jamais venus à Paris, et ils n’y viennent toujours pas.
Pourquoi avez-vous invité quelques marchands parisiens, comme Christian Deydier ou Bernard Dulon, à exposer dans votre espace new-yorkais ?
Cela nous intéresse de nous ouvrir à d’autres horizons, à l’Extrême-Orient ou à l’art primitif. Depuis un an, nous disposons de deux étages supplémentaires d’exposition. En même temps que l’exposition Ruhlmann, qui marque notre dixième anniversaire à New York, nous montrerons un photographe, Victor Skrebneski.
Pour ce qui est de l’art contemporain, le marché américain semble gelé depuis la crise. Qu’en est-il pour l’Art déco ?
Nous avons constaté un très fort ralentissement l’an dernier. Mais depuis la rentrée, nous avons le sentiment que les choses redémarrent. Les décorateurs sont à nouveau là, nous retrouvons un mouvement de vie qui avait déserté New York alors que, au même moment, nous travaillions tout à fait normalement à Paris.
Pourquoi avoir choisi de fêter l’anniversaire de votre galerie new-yorkaise avec une exposition d’une vingtaine de pièces de Jacques-Émile Ruhlmann ?
Dès 1923, Ruhlmann avait été plébiscité aux États-Unis, réalisant des décors pour les Américains. La seule grande exposition new-yorkaise, dédiée à un créateur de l’Art déco, fut celle de Ruhlmann au Metropolitan Museum of Art [MET] voilà quatre ans. Il nous semblait normal de fêter Ruhlmann en fêtant notre galerie.
Dans votre exposition, on entrevoit différentes facettes de Ruhlmann, du classique au moderne. Cette dernière veine a-t-elle été éclipsée au profit de l’aspect le plus précieux ?
Le Ruhlmann moderne m’a toujours fasciné. Cela m’intéressait de voir comment son travail traditionnel, dans la lignée des grands ébénistes du XVIIIe siècle, a pu évoluer vers 1926-1927. Il est mort en 1933 et, de fait, n’a pas produit beaucoup de pièces modernes. Il fallait que ses clients adhèrent à l’esprit moderne et lui passent des commandes, ce qui n’était pas évident. Aujourd’hui, les collectionneurs sont emballés par ces meubles-là.
L’Art déco est-il sujet aux modes ?
Une mode, c’est un moment qui passe. Quarante ans d’intérêt, ce n’est pas une mode ! [La galerie Vallois a ouvert en 1971 à Paris.] Mais bien sûr, il y a des évolutions de goût. Il y a d’un côté les fanatiques du dépouillement, et de l’autre les fanatiques des meubles sophistiqués. Mais, dans les grandes collections, on trouve les deux.
La préface du catalogue anniversaire a été signée par Béatrice Salmon, directrice du Musée des arts décoratifs à Paris. Le hiatus entre le monde des marchands et celui des musées est-il en train de se résorber ?
Je pense que des gens comme Béatrice, pour laquelle j’ai un grand respect et une profonde admiration, font considérablement avancer les relations entre marchands et institutions. Nous rejoignons en cela l’attitude des musées américains qui ont toujours travaillé en bonne intelligence avec les marchands. Quand le Musée des Années 1930 à Boulogne-Billancourt a organisé une exposition de Ruhlmann en 2002, nous n’avons pas été contactés pour prêter des pièces. En revanche, dès que le MET a pris la décision d’organiser l’exposition Ruhlmann, il nous a demandé des pièces en prêt, notamment le bar en métal qui figure aussi dans notre exposition, et les conservateurs du musée ont consulté nos archives. Boulogne a utilisé son propre fonds. Le musée a monté une belle exposition, mais elle aurait pu être bien plus importante.
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Entretien avec Cheska Vallois, galeriste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Entretien avec Cheska Vallois, galeriste