Ventes aux enchères

Enfin la réforme : agrément, conseil des ventes volontaires, Internet... ce qui va changer

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2000 - 2096 mots

Au moment où ce JdA est mis en vente, le Sénat devrait avoir adopté \"en bloc\" le projet de loi réformant les ventes publiques intégrant les propositions de la commission mixte paritaire (le JdA n°106). Ainsi prend fin un très long feuilleton législatif. Restent à venir les décrets d’application pour que la réforme entre concrètement en vigueur. Pour des vacances studieuses, nous vous proposons un tour d’horizon des principaux points modifiant le paysage des ventes publiques françaises. De quoi aborder la rentrée en connaissance de cause.

Au moment où ce JdA est mis en vente, le Sénat devrait avoir adopté “en bloc” le projet de loi réformant les ventes publiques intégrant les propositions de la commission mixte paritaire (le JdA n°106). Ainsi prend fin un très long feuilleton législatif. Restent à venir les décrets d’application pour que la réforme entre concrètement en vigueur. Pour des vacances studieuses, nous vous proposons un tour d’horizon des principaux points modifiant le paysage des ventes publiques françaises. De quoi aborder la rentrée en connaissance de cause.

À l’origine de la réforme il y avait d’abord l’exigence de la Commission de Bruxelles aiguillonnée par la plainte de Sotheby’s : l’obligation d’assurer le libre établissement en France des maisons de ventes. Les commissaires-priseurs français ont donc avant tout cherché à contenir l’offensive des majors anglo-américains. Ils ont mis en avant l’exception juridico-culturelle française, en particulier les garanties que le système ministériel apportait aux acheteurs et vendeurs. Cette exigence aurait normalement pu se résoudre dans le cadre du droit commun puisque les opérateurs étrangers désireux de taper du marteau en France devront appliquer la législation nationale. Mais les garanties étaient partiellement attachées au système des offices ministériels qui apparaissait impropre à assurer la compétitivité des opérateurs français, en particulier parce qu’il excluait le recours aux capitaux extérieurs à la profession et interdisait les facilités commerciales développées avec succès par les Anglais sur leurs marchés libres : avances sur vente, garanties de prix, etc.

Un conseil des ventes volontaires
Pour concilier ces impératifs le dispositif français va substituer au monopole un marché à accès réglementé. Ne pourront organiser des ventes aux enchères volontaires que des sociétés ayant reçu un agrément et soumises à un strict contrôle d’une autorité ad hoc, le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Cette nouvelle juridiction, sera composée de 11 membres nommés pour quatre ans par le ministre de la Justice : 5 représentants des professionnels (dont un expert) et 6 personnalités qualifiées ; un magistrat du parquet assurera les fonctions de commissaire du gouvernement auprès du Conseil, qualifié par la commission des lois de l’Assemblée nationale “d’instance d’État”.

Le Conseil aura pour mission d’agréer les sociétés de ventes volontaires établies en France, mais également de recevoir les déclarations de ventes occasionnellement organisées par des ressortissants européens, et le cas échéant de s’y opposer. Il aura également pour mission d’agréer les experts, sans pouvoir pour autant imposer aux sociétés de vente de recourir aux seuls experts agréés par ses soins.

Le Conseil peut sanctionner les manquements des opérateurs, sociétés de ventes et experts, par divers moyens allant jusqu’à la suspension ou le retrait de l’agrément. Pour assurer le contrôle de ses décisions un recours est prévu devant le président de la cour d’appel de Paris.

Le Conseil se verra enfin doté d’une compétence pédagogique partagée avec la Chambre nationale des commissaires-priseurs, puisque la loi prévoit qu’il assurera conjointement avec la Chambre “l’organisation de la formation professionnelle en vue de l’obtention de la qualification requise pour diriger les ventes”. Curieuse cogestion qui proroge la mixité des tâches ministérielles et de la gestion du marché libre, mais qui pourrait aussi s’interpréter comme une perpétuation insidieuse du monopole. Si un ressortissant français ne tient pas à se soumettre aux exigences de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, devra-t-il aller passer des diplômes dans d’autres États européens pour être jugé digne d’exercer en France ?

L’Internet verrouillé
Pendant les années de gestation de la réforme, le phénomène Internet est apparu. Après quelques hésitations, la profession s’y est ralliée et le gouvernement aussi. Tant et si bien qu’en décembre 1999, revenant sur sa position antérieure, le gouvernement a accepté d’inclure les ventes par voie électronique au dispositif réglementé. Après quelques hésitations sémantiques, les parlementaires ont adopté une définition qui laisse libres les opérations de courtage électronique sauf toutefois celles qui portent sur les “biens culturels”. S’il est difficile de mesurer la portée de cette disposition, d’autant que la définition des biens culturels est renvoyée à un décret en Conseil d’État, on peut sans risque avancer que c’est une donnée majeure du nouveau dispositif. Si on relie le texte aux dernières péripéties judiciaires françaises qui manifestent une interprétation élargie des juridictions françaises, on peut imaginer que le nouveau champ réglementaire français pourrait s’élargir à l’infini. Par le passé les commissaires-priseurs ont su défendre leurs prérogatives ; il n’y a pas de raison de croire qu’ils y renonceront sur le nouveau territoire que leur offre la loi (lire l’article ci-dessous).

Un système d’opérateurs mixtes
Il est difficile d’appréhender la nouvelle structure du marché. En effet, même si la loi pose le principe que les ventes volontaires seront assurées par des sociétés, la mixité sera la règle pour plusieurs raisons.

Tout d’abord la loi n’a pas imposé un choix immédiat aux commissaires-priseurs en fonction. Elle permettra aux commissaires-priseurs judiciaires (nouvelle appellation des officiers ministériels qui assureront les ventes forcées) d’exercer dans des sociétés de ventes volontaires.

D’autre part elle autorise les notaires et les huissiers à organiser des ventes comme par le passé.
Par ailleurs, pendant un délai de deux ans, les ventes volontaires pourront être organisées soit par les commissaires-priseurs en fonction, soit par les nouvelles sociétés de vente.

Comme les modalités d’indemnisation ne distinguent pas nettement la situation des commissaires-priseurs qui renonceront à leur fonction ministérielle des autres, les hypothèses faites sur des départs et/ou retraites ne tiennent plus, ce qui d’une certaine façon satisfera ceux qui plaidaient le rôle d’aménageurs et d’animateurs du territoire culturel des commissaires-priseurs, mais n’ira pas nécessairement dans le sens d’une modernisation du marché.

Sur ce point, la “jurisprudence” du Conseil des ventes sera déterminante. En effet la loi est très vague quant aux critères d’agrément. Elle prévoit que les sociétés de vente “doivent présenter des garanties suffisantes en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l’honorabilité et l’expérience de leurs dirigeants ainsi que les dispositions propres à assurer pour leurs clients la sécurité des opérations”. Le Conseil devra apprécier ces garanties, mais il pourra difficilement bâtir une politique différenciée que la loi ne lui délègue pas. Comment dès lors juger de façon équivalente le dossier de Christie’s, Sotheby’s ou des grandes études parisiennes, dopées par l’arrivée des groupes Arnault et Pinault, et celui de l’unique commissaire-priseur d’une petite agglomération auquel elle ne pourra même pas recommander un rapprochement avec un confrère. Le “small is beautiful” pourrait bien s’imposer au Conseil, et avec lui l’émiettement du marché, ou la reconstitution d’un monopole déguisé. En effet si le Conseil ne parvient pas à placer à un niveau élevé les critères d’agrément, il devra faire face à de nombreuses demandes d’opérateurs désireux d’intégrer le nouveau dispositif (groupements de marchands ou d’experts, ou tout simplement collectionneurs ou financiers), et pour en faire le tri il pourrait être tenté de chercher des freins dans certaines complexités de la loi.

Le décret d’application apportera peut-être de premières réponses dans la définition des accessoires financiers en particulier de l’assurance garantissant la représentation des fonds des vendeurs ou les qualifications et leurs équivalences requises pour diriger les ventes.

Les conditions de constitution et de fonctionnement des sociétés de ventes volontaires sont également marquées par la mixité, voire la complexité. Ce sont des sociétés commerciales (ce qui leur permettra de collecter des fonds et de mettre en œuvre toutes les ressources du marketing) mais elles sont à objet civil, ce qui les soumettra au contrôle des juridictions civiles et non commerciales.

Elles ne pourront intervenir que comme mandataires des vendeurs, ce qui exclut les achats et reventes pour leur compte. Toutefois comme les Anglo-Saxons, elles pourront fixer des prix garantis, mais, à la différence des usages anglo-américains subordonnés à l’adjudication effective, elles pourront faire des avances au vendeur, et même vendre de gré à gré après les enchères. Pour éviter que ces nouvelles possibilités ne dérivent vers le commerce pur, la loi impose l’intervention d’assurances qui devront couvrir les insuffisances d’adjudication.

Si le respect du principe communautaire de libre prestation de service interdisait d’imposer la création de sociétés de vente pour les ventes occasionnelles organisées par des ressortissants européens, la loi a toutefois prévu un triple contrôle d’accès : justification préalable que les opérateurs exercent de façon permanente des activités de ventes aux enchères dans leur État d’origine, déclaration préalable au Conseil des ventes, enfin justification de compétence, ce qui de fait soumet les opérateurs occasionnels à l’appréciation portée par la réglementation française sur l’équivalence des diplômes, titres ou habilitations en usage dans les autres États membres. Une disposition qui porte en germe de multiples contentieux.

La protection des frontières du nouveau marché
L’importance des sanctions en cas de transgression exprime la volonté d’interdire tout empiètement sur les nouveaux territoires des enchères. La loi est lourdement répressive : deux ans d’emprisonnement et 2 500 000 F d’amende, confiscation, interdiction d’exercice, affichage. Par comparaison, les peines prévues sont plus lourdes que celles qui sanctionnent la contrefaçon et à peine moins que celles encourues en cas de vol ou d’abus de confiance.

Ce degré élevé de pénalisation du marché manifeste les limites de l’ouverture. Il pourrait créer les conditions d’une sclérose du marché au lieu de la respiration qui est attendue de la réforme. Le Parlement s’est d’ailleurs interrogé sur l’opportunité d’étendre aux ressortissants européens l’application de ces peines, tant leur caractère semblait excessif au regard des législations des autres États membres, mais in fine c’est le parti répressif qui l’a emporté. Il y a dans cette situation le risque d’une possible guérilla pénale des opérateurs ce qui pourrait freiner considérablement les initiatives des opérateurs, voire celles du Conseil des ventes.

La portion congrue des experts
André Chandernagor, qui préside l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art et qui est l’un des architectes de la modernisation du marché, avait proposé que la dénomination du Conseil des ventes soit complétée de la mention “et de l’expertise”. La proposition avait le mérite de donner au Conseil une personnalité complète dans un marché qui est aussi celui du savoir artistique. La suggestion n’a pas été retenue. De la même façon, il avait été proposé que les sociétés de ventes ne puissent recourir qu’aux experts agréés par le Conseil des ventes. La crainte d’un nouveau monopole, la difficulté de régler techniquement la situation des experts salariés des maisons de vente anglo-saxonnes, ont conduit à renoncer à cette option.

Dans ce domaine aussi la mixité restera la règle. Les experts auront toutefois quelques satisfactions : ils seront représentés au Conseil des ventes, ils pourront enfin accéder à un titre protégé et ils bénéficieront en ventes publiques d’un délai de responsabilité ramené à dix ans. Restera que faute d’avoir modifié le Code civil pour y introduire une prescription générale de dix ans en matière de biens d’occasion, les actions en nullité de vente qui sont devenues une spécialité juridique française, resteront inscrites dans la prescription trentenaire. Dans cette version mixte, la concurrence entre experts sera modérée. Ainsi la loi impose ce que le Conseil de la concurrence avait interdit aux compagnies d’experts : la limitation à deux spécialités.

Auberge espagnole à la française
Au total on comprend que le marché de l’art dans sa nouvelle version sera ce que les opérateurs voudront en faire. Un oligopole libéralo-ministériel entouré d’un champ de mines légales et réglementaires ou une nouvelle chance pour la France, comme le souhaite le sénateur Yann Gaillard. Dans son rapport le sénateur Gaillard montrait à quel point le marché des œuvres intermédiaires pouvait être un champ de développement pour la France et Paris. Comme de nombreux opérateurs, il insistait sur la globalité du marché et la nécessité de mettre à niveau non seulement le dispositif des ventes publiques mais l’ensemble de l’arsenal réglementaire et fiscal dont dépend la compétitivité du marché. Il posait également la question des mentalités. Ce qui se résume in fine à la capacité des professionnels de bâtir une interprofession solidaire.

La présidence française de l’Union européenne, qui débute en juillet, coïncidera avec la première mise en œuvre de la réforme. Elle sera l’occasion de vérifier si l’interminable cheminement de la réforme aura véritablement fait avancer les choses.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Enfin la réforme : agrément, conseil des ventes volontaires, Internet... ce qui va changer

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