En France, tenir le marteau est souvent une affaire de famille. Ainsi à Paris, environ un commissaire-priseur sur cinq a choisi la profession de ses aïeux. Comment la jeune génération juge-t-elle l’ancienne et comment voit-elle l’évolution du marché ? Propos recueillis auprès de quelques membres de la jeune garde.
PARIS - Ce mois-ci, François Tajan, âgé de trente-trois ans et reçu à ses examens de commissaire-priseur en novembre dernier, devrait être nommé officier ministériel. L’aboutissement de cette procédure lui permettra, enfin, de diriger des ventes et de constituer une société civile professionnelle avec son père, Me Jacques Tajan, ce qui lui évitera d’acheter une charge.
Aimant à se présenter comme l’héritier spirituel du grand commissaire-priseur parisien Étienne Ader, Me Tajan père est prompt à pourfendre des lourdeurs administratives et légales qui, à son avis, entravent la profession. Le futur Me Tajan fils le sera, semble-t-il, encore plus.
Liberté d’entreprendre
"Mon père a compris sa profession mieux que d’autres, estime-t-il. Il a vu le rôle important que peut jouer la publicité, la nécessité d’organiser des ventes qui sortent du train-train de Drouot, l’utilité d’avoir des bureaux à l’étranger."
François Tajan considère qu’il faudra sans doute "se battre à plusieurs." "En juin, par exemple, il n’aurait pas été idiot de regrouper quelques-uns des meilleurs tableaux modernes qui venaient sur le marché, de les présenter à New York par exemple, avant de les mettre en vente. Il y a un éclatement qui nuit beaucoup à la profession. Il se trouve que je ne suis pas toujours d’accord avec mon père à propos de la nécessité de travailler ensemble. Il faut dire que son expérience de travail collectif à lui, avec Rémi et Antoine Ader, a été plutôt négative."
François Tajan est catégorique quant aux aspects très positifs de sa profession : "Passer du temps avec des vendeurs et des acheteurs passionnés d’art et avec les objets qui changent de mains – ça, c’est une vraie joie."
Me Philippe Loudmer, 36 ans, nommé commissaire-priseur en septembre 1992, fils et collaborateur de Me Guy Loudmer (dont le fils cadet Pierre, 32 ans, devrait également être nommé commissaire-priseur bientôt), affirme qu’aucune différence de point de vue ne le sépare de son père.
Une fédération n’aurait aucun intérêt
"Mon attitude envers le marché se résume en un seul mot : liberté, estime-t-il. Liberté d’entreprendre, liberté de faire entrer des capitaux d’investisseurs étrangers à l’étude, liberté de s’associer avec qui on veut et de vendre là où on le souhaite, en France comme à l’étranger. Or nous subissons la règle de l’unicité du lieu de vente. Nous voulons des solutions ultralibérales, or nous sommes dans un système féodal anti-capitaliste. Quant à l’arrivée des Anglais, why not ?"
Les Loudmer père et fils ont donc les mêmes critiques envers un système qu’ils estiment "archaïque et rétrograde", et pour les récentes tentatives de Drouot de fédérer ses adhérents dans une seule association. "Une fédération n’aurait aucun intérêt pour nous. Je veux choisir les gens avec qui je travaille et ne pas faire l’objet d’un regroupement administratif, nous a confié Me Philippe Loudmer.
Ce que j’aime dans ce métier, c’est que je n’en saurai jamais assez sur l’art, ni sur les gens. Exercer ce métier, c’est faire le commerce de la passion des hommes pour l’art, pour l’argent, pour la vanité. Et chaque rencontre avec une œuvre, avec son propriétaire, avec son futur acquéreur est une joute, où l’art, l’argent, la passion sont des lances et des boucliers. La vente elle-même est une danse, une escrime. Et le lendemain, tout est à recommencer."
Un peu archaïque mais très français
Me Antoine Godeau est petit-fils (tout comme son ancien associé Jean-Claude Binoche) et neveu de commissaire-priseur, et la "tradition familiale" a été décisive dans son choix de profession.
"D’autre part, se souvient-il, j’ai été attiré par ce métier plutôt que par celui d’avocat en raison de mon goût pour le marché de l’art et les objets. Et on apprend tous les jours des choses nouvelles dans quantité de domaines." Me Godeau considère que la profession, qui a déjà connu un profond bouleversement depuis une génération, a surtout besoin de lutter contre Sotheby’s et Christie’s à armes égales.
"Jusqu’à récemment, un commissaire-priseur était beaucoup plus dilettante, estime-t-il. Il existait la bourse commune, qui garantissait des revenus confortables et permettait de ne pas trop travailler. Aujourd’hui, il y a une concurrence acharnée au sein d’un système un peu archaïque mais très français.
Il faudrait mettre en cause non pas seulement les commissaires-priseurs mais aussi les notaires, les huissiers, les avocats au Conseil, et une partie des avoués qui font partie de la même tradition". "Actuellement, on accuse la profession d’être trop dispersée, mais sans nous donner les moyens de nous réunir. La pire solution serait de laisser les Anglais s’installer chez nous sans envisager un traitement égal."
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Enchères de père en fils
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Enchères de père en fils