Jacques Barrère et Christian Deydier devancent l’ouverture de l’Automne asiatique prévue pour le début du mois de novembre avec deux expositions remarquables. Au programme : des bronzes dorés bouddhiques chez le premier et des bronzes de la Chine antique chez le second. Deux spécialités globalement à la hausse sur le marché depuis une dizaine d’années.
PARIS - “J’ai fait cette exposition pour mon plaisir”, insiste Christian Deydier. Toutes les pièces réunies sont des œuvres exceptionnelles qu’il ne propose généralement à voir qu’à ses collectionneurs les plus aguerris, “pour les surprendre”. Le public le sera assurément ! Dix-huit bronzes de la Chine antique, de la dynastie des Shang (XVIe-XVe avant J.-C.) à celle des Han (206 avant J.-C. – 220 après). La fourchette de prix est très large : de 40 000 à 40 millions francs. Le bronze est à la fois emblème de pouvoir et objet rituel. Parallèlement à l’évolution de la religion, il devient commémoratif et utilitaire sous la dynastie des Zhou. Il suffisait qu’un roi félicite ou honore un de ses sujets pour fondre un bronze, comme le confirme l’inscription du Yu gui du début de cette époque : “Le roi a félicité Yu de ses mérites [...]. Par gratitude et pour exalter la bienfaisance du roi, moi, Yu, j’ai fait faire ce vase à cuire pour commémorer mon distingué père défunt Bing (fu Bing).”
Utilisé pour le banquet des ancêtres, le bronze prend la forme de vase à nourriture (fangding, dynastie des Zhou Occidentaux, Xe siècle avant J.-C.), de vase à boisson fermentée (jiao, dynastie des Shang ou jue avec ses boutons de préhension selon l’hypothèse en cours, de la dynastie des Zhou), ou de verseuse (he de la dynastie des Zhou orientaux, période des Royaumes combattants). Mais là ne sont que quelques déclinaisons des formes participant de ce “rituel pour l’éternité”, laissant entrevoir qu’une grande place était accordée à la boisson. Le taotie, monstre glouton, accompagne toutes ces pièces, et en précise la connotation religieuse. Certaines rappellent les échanges entre pays comme cette lampe en forme de paon (dynastie des Han antérieurs), animal absent du sol chinois, peut-être un cadeau indien, ou encore ce xizun, vase à boisson fermentée (dynastie des Zhou occidentaux) zoomorphe. Ce dernier montre la créativité des artisans chinois, car il pourrait être un cochon sauvage s’il n’était pourvu d’une trompe caractéristique de l’éléphant ! En dépit du côté anecdotique de ces deux dernières pièces, toutes sont significatives de l’évolution de l’histoire du bronze dans la Chine ancienne. À noter dans cette collection le pan, récipient à eau de la dynastie des Shang et le vase hu, bronze damasquiné d’or et d’argent du milieu de la période des Royaumes combattants. On en connaît deux au monde en mains privées. À l’inverse du marché de l’archéologie chinoise en crise, celui des bronzes archaïques bénéficie, lui, d’une tendance à la hausse depuis cinq ans.
Le Tibet de Jacques Barrère
Jacques Barrère met en scène le monde du Tibet et de la Chine, à travers quarante-sept bronzes bouddhiques dorés provenant directement de trois anciennes collections belge, suisse et française. L’iconographie du Bouddha reste classique : en position de méditation, il est vêtu de son habit de moine laissant l’épaule droite nue. Son visage serein et bienveillant porte l’Urnâ au milieu de front, l’Ushnishâ (protubérance crânienne), les yeux sont mi-clos et les lobes d’oreilles allongés, souvenir de son renoncement à la cour royale. Les trois plis de beauté soulignent son cou.
Plus rare est la représentation de Sâkyamuni en nouveau-né (Chine, XVe-XVIe siècles). L’enfant Bouddha nu se tient debout sur une base rectangulaire qui ressemble à un trône, sa main gauche montrant le ciel et la droite la terre. Le prix des pièces varie en fonction de la qualité de la fonte, plus ou moins dense, de 60 000 à 1,5 million de francs. La plupart sont proposées entre 150 000 et 500 000 francs. La grande statue votive de Gautama Bouddha Sâkyamuni (Tibet, XVe-XVIe siècles) et l’ensemble des “Quatre Gardiens du Monde” (Chine, XVIIe siècle) atteignent 1,5 million de francs. La qualité des sculptures est comparable à celles de la Fondation Chang à Taiwan, qui réunit quatre-vingts pièces, au seul détail près qu’aucune restauration n’a été faite par la galerie Barrère. Nombreuses sont les effigies à avoir conservé la chevelure peinte en bleu, une des couleurs symboliques du bouddhisme, ou ce Bouddha Sâkyamuni (Tibet, XIVe-XVe siècle) au visage polychrome d’origine. Amitâyus, le “Bouddha de Longue Vie” (Chine, XVe siècle), qui à l’origine était un bronze doré, s’est vu recouvrir de laque (180 000 francs). La technique de la fonte à la cire perdue rend chaque exemplaire unique, et la dorure au mercure donne une certaine épaisseur à l’enveloppe. La technique reste parfaite, mais le style diffère : en Chine se dégage un aspect hiératique, maîtrisé, alors qu’au Tibet émanent souplesse et délicatesse comme en témoigne l’imposant Bouddha Sâkyamuni en “Jovo Rinpoche” (Chine, XVIIe-XVIIIe siècles) et la subtile Tarâ Blanche, la Divinité de la Sagesse, (Tibet ou Mongolie intérieure, XVIIe-XVIIIe siècles, 450 000 francs). Toutes ces sculptures tibétaines sont fédérées au niveau stylistique par le socle constitué d’un double lotus.
Un petit chapitre est ouvert aux sculptures de l’Inde et du Sud-Est asiatique, dans lequel est à signaler le rare buste de divinité féminine pré-khmer (VIIIe siècle), petit bronze à patine verte, proposé à 230 000 francs.
- Images bouddhiques en bronze doré, jusqu’au 25 novembre, galerie Jacques Barrère, 36 rue Mazarine, 75006 Paris, tél. 01 43 26 57 6 ; du mardi au samedi, 10h-19h30.
- Rituels pour l’ÉternitÉ, jusqu’au 30 novembre, Oriental Bronzes Ltd., galerie Christian Deydier, 21 rue du Bac, 75007 Paris, tél. 01 40 20 97 34, du mardi au samedi, 10h-12h30 et 14h-18h30.
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Du fleuve Jaune au Tibet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Du fleuve Jaune au Tibet