La Cour administrative d’appel de Bordeaux, en autorisant – contre l’avis de l’administration fiscale – un brocanteur à répartir sur plusieurs exercices le revenu exceptionnel tiré de la vente de deux tableaux importants, apporte une réponse appropriée aux aléas particuliers du commerce de l’art. Au-delà, elle ouvre peut-être la voie à une interprétation différente de la valeur ajoutée par les professionnels du marché.
BORDEAUX - En publiant et en commentant dans les Petites Affiches (n° 97) un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 18 novembre 1997, Jacques Fingerhut * donne des raisons d’espérer aux chineurs et brocanteurs, mais pourquoi pas aussi à tous les négociants d’art ?
L’affaire qu’il relate peut se résumer ainsi : un brocanteur bordelais avait réalisé en vente publique, après expertise, deux tableaux cubistes pour un total de 1,6 million de francs. L’opération lui laissait un bénéfice de 1,3 million de francs environ, excédant considérablement les revenus habituels de son commerce.
Il avait demandé l’étalement de ce produit sur plusieurs exercices pour éviter une imposition très élevée. Le Code général des impôts (CGI) prévoit en effet (art. 163) que certains revenus exceptionnels, “tels que la plus-value d’un fonds de commerce ou la distribution des réserves d’une société”, et lorsque “le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d’après lesquels ce contribuable a été soumis à l’impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l’intéressé peut demander qu’il soit réparti, pour l’établissement de l’impôt, sur l’année de sa réalisation et les années antérieures non couvertes par la prescription” (soit trois ans). Le CGI n’en dit pas plus, ce qui laisse ouverte la possibilité d’interprétation de cette notion. L’administration en a donné sa propre interprétation : “Le revenu exceptionnel est considéré comme un profit dont la perception ne peut pas être rattachée à l’exercice habituel de l’activité professionnelle de son bénéficiaire”. Des décisions judiciaires ont complété cette interprétation en y ajoutant que “le profit provenant d’un aléa indépendant de la volonté du contribuable pouvait être qualifié d’exceptionnel”.
Un double encouragement
L’administration a refusé la demande du négociant, estimant que la vente ne constituait pas un revenu exceptionnel car elle entrait dans le cadre de l’exercice habituel de sa profession. Le Tribunal administratif saisi par le négociant lui donnait raison contre le fisc, et l’arrêt de la Cour d’appel confirmait la décision en relevant que “la vente a été réalisée aux enchères par l’intermédiaire d’un commissaire-priseur, après expertise et authentification de ces deux œuvres d’art ; qu’ainsi, l’opération à l’origine du profit litigieux a débordé le cadre habituel de la profession de brocanteur [...] qu’il s’ensuit que le profit dont il s’agit a le caractère de revenu exceptionnel au sens de l’article 163 du CGI”. On comprend l’intérêt pour les professionnels de connaître cette jurisprudence, qui s’appuie sur des précédents détaillés par Jacques Fingerhut. Celui-ci souligne qu’il est remarquable que les décisions du Conseil d’État allant dans ce sens n’aient jusqu’alors bénéficié qu’à des “contribuables exerçant une profession littéraire ou artistique, et non dans le cas d’une profession industrielle ou commerciale, catégorie dont relève l’activité de brocanteur”.
La décision de la Cour d’appel est un double encouragement. À la fois à la recherche des œuvres, mais également au choix d’un mode de commercialisation peu courant pour l’inventeur et à l’investissement fait dans une expertise.
Rêvons un peu au-delà. Après tout, en prenant cette décision, la Cour d’appel, dans le droit fil des jurisprudences du Conseil d’État, n’a-t-elle pas implicitement assimilé la plus-value ou le profit enregistré dans la vente documentée d’une œuvre d’art au produit d’une œuvre de l’esprit ?
Dans ce sens, plutôt que de souligner la relativité de la décision, ne faudrait-il pas en tirer parti pour insister sur la singularité du commerce de l’art ? Si les professionnels veulent s’attacher à une revendication qui ferait enfin l’unanimité dans leurs rangs, en France et en Europe, c’est-à-dire la taxation au taux réduit de TVA des opérations portant sur les œuvres d’art, ne peuvent-ils trouver dans cette décision de justice un motif de plus pour montrer que leur profession n’est pas d’abord de négocier des marchandises, mais de valoriser des biens culturels, œuvres de l’esprit, dont on admet par ailleurs qu’elles soient imposées au taux réduit lorsqu’elles sont cédées par leurs auteurs ?
* Jacques Fingerhut est l’auteur de l’ouvrage La fiscalité des œuvres d’art, publié en 1995 chez Economica (ISBN 2-7178-3001-4).
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Droit du marché : brocanteurs, experts, intellectuels, même combat
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : Droit du marché : brocanteurs, experts, intellectuels, même combat