La version actuelle du texte de compromis sur l’harmonisation du droit de suite, mis au point à Bruxelles, semble paradoxalement préoccuper davantage les galeries d’art que les maisons de ventes publiques. Éléments d’explication.
PARIS - Pour les commissaires-priseurs, le droit de suite est déjà une réalité, et son application actuelle en France globalement plus rigoureuse que le projet élaboré à Bruxelles. En effet, le droit de suite dans notre pays s’applique avec un seuil de perception de 100 francs (soit un prix d’adjudication de 3 300 francs environ), et il est calculé à 3 % sans dégressivité ni plafonnement. Dans l’état actuel du projet européen, qui sera peut-être encore amendé avant son adoption définitive, le seuil de perception est beaucoup plus élevé ; il est prévu une forte dégressivité et même un plafonnement. Dans ces conditions, pour les maisons de vente françaises, la réforme n’est pas très pénalisante. En outre, le rapprochement de certaines grosses études françaises avec des maisons anglo-saxonnes leur permettra sans doute de faire des arbitrages en cas de difficultés, ce que leur statut actuel leur interdit.
La situation des galeries est différente. L’harmonisation européenne ne peut tenir compte de toutes les spécificités nationales, en particulier de la situation française, marquée par l’exonération de fait du droit de suite sur les ventes des galeries. En principe, le droit de suite leur est applicable depuis la loi de mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qui avait élargi le champ de perception du droit établi par la loi de 1921. Mais, tenant compte de la contribution des galeries d’art au régime de sécurité sociale des artistes, les administrations successives ont maintenu le statu quo en ne prenant pas les décrets d’application de la nouvelle loi. Depuis plus de quarante ans, la profession campe sur cette situation. Le texte européen prévoit de soumettre toutes les ventes au droit de suite. Son application se traduirait donc par une superposition de charges pour les galeries, qui peuvent en outre craindre des détournements de trafic.
En ce qui concerne les charges, une solution serait de régler conventionnellement la question, comme l’a fait l’Allemagne, en passant des accords avec les différents opérateurs (artistes, sociétés d’auteurs et administrations), pour parvenir à un régime permettant de solder par une contribution unique la couverture sociale des plasticiens et le droit de suite. Il n’est pas évident que ce type d’accord puisse être mis en place en France, où l’on préfère souvent l’arbitrage réglementaire à la négociation collective.
En revanche, la question des détournements de trafic risque de subsister. Depuis la 7e directive TVA (1995), les ventes d’art actuel sont soumises à deux taux différents : les reventes des galeries supportent le taux normal, les ventes de leurs œuvres par les artistes le taux réduit. Il en résulte un différentiel de près de 15 % qui encourage les achats directs aux auteurs. Ce différentiel serait accru de 3 ou 4 % avec l’introduction du droit de suite. De plus, le droit pèserait non seulement sur les reventes d’œuvres achetées directement aux artistes, mais également sur les opérations du “second marché” qui permettent aux galeries de financer la promotion des plus jeunes artistes. D’une certaine façon, cela accentuera encore un déséquilibre dont les galeries craignent qu’il marginalise progressivement leurs interventions.
Le comité des Galeries d’Art trouve scandaleux qu’un délai de transposition de 15 ans de la directive sur le droit de suite, dont la Grande-Bretagne sera la grande bénéficiaire, ait été décidé par le Conseil des Ministres à Bruxelles. Au bout de cinq ans après l’adoption du texte, la Grande-Bretagne et les rares pays qui ne connaissent pas le droit de suite n’appliqueront ce droit que sur les œuvres d’artistes vivants. Pour l’instant, les galeries françaises ne sont pas soumises au droit de suite car elles contribuent à la sécurité sociale des artistes par un pourcentage de 3,3 % sur 30 % de leur chiffre d’affaires TTC. Le ministère de la Culture s’est toujours engagé à trouver une solution pour éviter le cumul du droit de suite et de la sécurité sociale. Mais, comme aucune solution concrète n’a été à ce jour proposée, malgré l’insistance de tous les professionnels, il est à craindre qu’une fois la directive adoptée, elle soit applicable sans recours au bout de cinq ans, sur les œuvres d’artistes vivants et décédés ! Il ne faut pas oublier que le marché est un tout et que la vente des œuvres d’art moderne d’artistes connus permet aux galeries le soutien à la création vivante. De plus, comme cela a été très souvent dénoncé, le Comité des Galeries d’Art craint qu’à très court terme, le marché de l’art parisien (le droit de suite continue à être perçu sans trêve dans les ventes publiques) des œuvres d’une certaine importance soit détourné vers la Grande-Bretagne, la Suisse ou les États-Unis. Anne Lahumière, présidente du Comité des Galeries d’Art
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Droit de suite : l’inquiétude des galeries d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°105 du 12 mai 2000, avec le titre suivant : Droit de suite : l’inquiétude des galeries d’art