PARIS
L’œuvre sensible du chantre du minimalisme fait l’objet d’une exposition parisienne, la première depuis presque 20 ans, à la galerie Thaddaeus Ropac. En toute légitimité, c’est son fils Flavin directeur artistique de la Judd Foundation qui en assure le commissariat.
Paris. L’art minimal ne supporte pas la poussière. Et ce qui est vrai pour la plupart des artistes de ce mouvement né à New York au milieu des années 1960, l’est encore plus pour Donald Judd (1928-1994) qui en fut l’un des éminents piliers. Absolument et nécessairement impeccable, l’exposition que lui consacre la galerie Ropac en est une magnifique preuve. Outre cet aspect ménager, elle fait figure d’événement, puisque l’artiste n’avait pas eu d’exposition à Paris depuis 1991, chez Lelong. Certes, on avait pu voir des pièces de mobilier chez Jean-Gabriel Mitterrand (2006 et 2012), mais pas d’ensemble conséquent en galerie. Pourquoi tant de temps ? Flavin Judd, son fils (51 ans) explique : « Mon père ne savait pas qu’il était si malade et il est mort très vite. Avec ma sœur, on s’est donc retrouvés avec, dans son testament, le souhait qu’il avait depuis 1977 de faire une fondation, mais sans aucun projet précis et sans le moindre argent. Avec le marché de l’art qui s’écroulait au début des années 1990, on s’est vite retrouvé avec dix millions de dollars de dettes. Ce fut très difficile, mais c’était à nous de le faire car personne d’autre ne connaissait ce passé pour faire le futur. Mais depuis un certain nombre d’années tout est réglé. »
Autrement dit, l’estate, au sens « de temps de latence entre le moment du décès et la clôture de la succession du défunt »,selon l’acception anglo-saxonne du terme, est souvent citée comme exemple de complexité pour avoir duré plusieurs années. Elle a finalement abouti notamment à la création de la Judd Fondation dirigée par Flavin et sa sœur Rainer, sise à New York (Spring Street à Soho) et chargée, entre autres, de rénover et d’entretenir l’ancien immeuble-atelier qui l’abrite ainsi que la vingtaine de bâtiments à Marfa au Texas. Marfa dont Judd avait fait sa ville, à partir de 1973, après l’abandon de la base militaire américaine qui y était installée et qu’il a petit à petit rendue célèbre dans le monde entier : une sorte de « Judd city » en plein désert, incarnation aujourd’hui d’un style de vie « arty » bien éloigné de la rigueur de l’artiste. En même temps la fondation est chargée des archives, des publications (Judd était aussi critique d’art et théoricien pointu) et de l’organisation d’expositions.
Flavin Judd est ainsi le commissaire de cette première collaboration avec Thaddaeus Ropac qui rassemble une quinzaine d’œuvres étalées sur trente ans. La plus ancienne, datée de 1963 et quasiment jamais montrée, composée d’une structure en bois teinté en rouge avec une barre bleue aux allures d’un saut d’obstacle pour une compétition de jumping est d’autant plus importante qu’elle correspond au moment où Judd saute le pas et abandonne la peinture pour les œuvres en trois dimensions. La plus récente est un ensemble de quatre gravures sur bois de 1993.
Entre les deux, la sélection résume parfaitement la démarche de l’artiste qui abandonne vite le bois pour se consacrer à des matériaux froids, industriels, les moins expressifs et subjectifs possibles comme l’aluminium anodisé qui caractérise ses œuvres les plus emblématiques et lui permet de mettre en place son vocabulaire plastique composé de cubes et parallélépipèdes, via le carré et le rectangle. Pensés comme des modules, ils permettent à Judd de poser la question des rapports d’une œuvre au sol, au mur et à l’espace alentour, d’interroger la notion de relief, de jouer avec le plein et le vide, d’instaurer des scansions et des rythmes. À l’exemple de cette splendide « progression » Untitled de 1970, qui prend la forme d’une immense ligne (8,25 mètres de long) en aluminium gris accrochée au mur, avec en dessous des petits cubes violet irrégulièrement disposés pour jouer sur les espacements, l’asymétrie (et dans d’autres sculptures au contraire sur de parfaites symétries).
Toutes les œuvres rappellent aussi la subtile et riche utilisation des couleurs qui fait de Judd un formidable coloriste et lui permet de travailler sur la profondeur, les volumes, les échos formels, les mises à distance, les contrepoints, les points de vue, les vues en reflets. Sans jamais perdre de vue, justement, la lumière et les jeux d’ombre, l’ordre et la mesure.
Les prix vont de 200 000 à 900 000 dollars pour les œuvres qui sont à vendre, puisque les plus importantes et les plus historiques, dans la grande salle, appartiennent à la Fondation. On ne peut donc pas dire qu’il s’agit de prix modestes, mais en même temps ils concernent un artiste majeur du XXe siècle qui, en outre, a relativement peu produit – le catalogue raisonné à paraître bientôt mentionnera en effet à peu près 2 000 œuvres.
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Donald Judd, de la couleur à la rigueur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Donald Judd, de la couleur à la rigueur