Les bijoux d’artistes et de créateurs designers exclusifs sont appréciés par un petit cercle d’amateurs. Encore confidentielles, ces créations ne devraient pas tarder à être plus connues.
Braque, César, Picasso, Arman, Dalí, Pol Bury, Anish Kapoor et d’autres ont donné leurs lettres de noblesse à l’art du bijou d’artiste. Dans ce domaine, la créativité des plus grands artistes a pu s’exprimer assez librement, sans trop de contrainte formelle ou matérielle.
S’ils sont assez peu nombreux dans le monde, les happy few qui aiment et achètent les œuvres d’artistes peintres ou sculpteurs apprécient de trouver dans leurs créations joaillières une continuité esthétique de leurs œuvres et sont attachés à l’intimité exclusive que permettent de tels bijoux devenus « œuvre d’art portable ». Ce sont souvent les amateurs de design qui collectionnent ce type de bijoux, souligne Emmanuelle Chassard de la Galerie Parisienne (Paris-7e), qui a présenté cet hiver une rétrospective des œuvres de l’orfèvre joaillier Claude Pelletier, dans le prolongement de ses habituels objets d’art mobilier et d’art décoratif du XXe siècle.
Les collectionneurs sont autant des femmes de caractère que des hommes qui connaissent plutôt bien l’art de notre temps et aiment sortir des sentiers battus. Ils ont en commun un goût assez prononcé pour la pièce rare, exceptionnelle ou fabriquée en série très limitée et dont la possession peut donner le sentiment d’appartenir à un cercle de connaisseurs. Le prix de ces bijoux très particuliers dépend plus de l’originalité et de la créativité que du matériau : une compression de capsules de boissons gazeuses de César peut parfois atteindre un prix plus élevé qu’une autre en or !
Les bijoux de ce type sont fabriqués à partir des dessins des artistes ; leurs tirages sont toujours très limités. Dans les années 1960 à 1970, l’un des « fabricants » les plus connus, le sculpteur François Hugo, a travaillé à la cire perdue d’après les œuvres de Jean Arp, André Derain, Max Ernst, Roberto Matta, Picasso ou Dorothea Tanning. Il faut aujourd’hui un œil avisé ou de bons conseils pour savoir acheter les bijoux de Braque fabriqués par le baron Heger de Löwenfeld, des pièces dont les résultats en vente aux enchères ont fluctué au gré des doutes sur le nombre de tirages. Ce n’est certes pas un marché spéculatif, mais il arrive parfois que certains prix augmentent vite. Tel est le cas par exemple d’une compression de bijoux en or de César de 6 cm sur 3 cm ; elle se vendrait aujourd’hui 8 000 à 10 000 euros alors qu’il n’en était demandé guère plus de 2 000 à 3 000 euros il y a seulement cinq ans. Le bijou est un placement finalement assez sûr, à condition d’acheter en toute sécurité dans des galeries spécialisées ou dans des maisons de ventes aux enchères. Ces dernières organisent assez peu de vacations spécialisées même si leur nombre va en augmentant, mais elles proposent des bijoux d’art contemporain distillés dans leurs ventes d’art décoratif ou de design. Dans les années 1970 à 1980, on pouvait trouver ces bijoux à Paris à la Galerie Sven sise rue Saint-Honoré ; aujourd’hui, Naïla de Monbrison (située rue de Bourgogne, Paris-7e) ou Louisa Guinness (à Londres) en proposent. Sans doute le marché est-il plus ouvert aux États-Unis, où se trouvent précisément les grandes collections comme celle de Mme Helen Williams Drutt qu’elle a donnée au Museum of Fine Arts de Houston – et qui vient de faire l’objet d’une exposition intitulée « Ornament as Art » (septembre 2007-janvier 2008) –, ou bien celle de Mme Daphne Farago exposée au Museum of Fine Arts de Boston.
Des bijoux objets
Un autre domaine d’exercice de la création joaillière contemporaine de très haute qualité est celui des bijoux de créateurs contemporains qui travaillent pour une grande maison ou pour eux-mêmes. Ce phénomène de création à part entière est très lié au champ de la mode.
L’un des créateurs designers les plus connus se nomme Joel Arthur Rosenthal (JAR), Américain installé à Paris, place Vendôme. Derrière des vitrines noires, dans un lieu confidentiel presque caché et pourtant situé au cœur du quartier de la haute joaillerie française, sont produits environ 80 bijoux par an, parmi les plus exclusifs qui soient. Certaines de ses pièces figuraient au catalogue de la vente de la collection d’Ellen Barkin chez Christie’s à New York le 20 octobre 2006. Au cours de cette dispersion, une bague sertie d’un diamant de 22,76 carats a atteint le prix de 1,8 million de dollars (1,4 million d’euros) alors que le diamant seul aurait été vendu aux alentours de 1 million de dollars. La Française Jacqueline Delubac possédait aussi des bijoux de JAR parmi sa collection dispersée par Christie’s à Genève en 1998. De Paris (Lorenz Baümer) à Bombay (Viren Bhagat) en passant par la Suisse (Suzanne Syz) et Hongkong (Carnet), sans oublier Dubaï, les designers renouvellent la création joaillière en interaction avec la mode comme avec l’art. On a pu voir récemment à Paris, à l’occasion d’une exposition privée, des tableaux contemporains associés aux dernières créations des ateliers Boucheron. Depuis une dizaine d’années, on constate que les créateurs joailliers vendent parfois mieux en vente aux enchères qu’en boutique ; certains d’entre eux, comme Michele Della Valle, ne produisent qu’à destination des ventes aux enchères.
Pour l’amateur, doit primer la signature, l’originalité du bijou et sa provenance. Les bijoux objets sont actuellement très tendance. Les formes qui pourraient paraître extravagantes sont particulièrement appréciées. Une collection privée prestigieuse garde toujours son pouvoir d’attraction. L’acheteur aura alors le plaisir rare non seulement de collectionner des objets, mais aussi de pouvoir les porter sur lui-même, comme un prolongement de l’œuvre d’un grand artiste dont il peut admirer les peintures ou les sculptures dans les plus grands musées, ou d’un créateur designer exclusif. Encore confidentiels, de tels bijoux ne devraient probablement pas tarder à être mieux connus. Les deux expositions qui leur sont consacrés, l’une aux États-Unis (« Ornament as Art ») et l’autre en France (« Bijoux sculptures : l’art vous va si bien » à La Piscine-Musée d’art et d’industrie à Roubaix (1)), y contribueront sans doute
(1) Du 1er mars au 25 mai, 23, rue de l’Espérance, 59100 Roubaix, tél. 03 20 69 23 60.
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Des œuvres d’art portables
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°276 du 29 février 2008, avec le titre suivant : Des œuvres d’art portables