Des galeries déposent aujourd’hui chez des collectionneurs des œuvres à vendre, ce dans le seul but de les valoriser. Un drôle de jeu...
Rien ne va plus au royaume des grands collectionneurs. Jouant sur une volatilité des rôles, ces derniers sont en train de devenir des ambassadeurs pour les artistes et leurs galeries, comme les people le sont pour les marques Chanel ou Dior. Les pièces accrochées sur leurs murs se transforment en « must have » aussi indispensables que le dernier sac Prada. Or, de même que des accessoires sont prêtés aux stars par les services de marketing pour les besoins d’une campagne de presse, il semblerait que les galeries commencent à déposer des œuvres chez les collectionneurs. De la collection au showroom, il n’y a qu’un pas. Et certains franchissent le Rubicon.
Jean-Charles Vergne, directeur du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Auvergne, confesse ainsi sa stupeur de s’être vu proposer une pièce de l’artiste Bjarne Melgaard pourtant présentée dans l’exposition du collectionneur allemand Harald Falckenberg dernièrement à la Maison rouge à Paris. Le directeur confie avoir trouvé étrange que l’œuvre ainsi exposée soit en réalité « disponible » et négociée directement par la galerie berlinoise Crone. Interrogée, la galerie n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Pour gonfler certains ensembles de son exposition « The Triumph of Painting » (1), le Britannique Charles Saatchi aurait aussi fait appel aux services de plusieurs galeries. Du pain bénit pour ces dernières qui peuvent valoriser l’œuvre avec le cachet Saatchi – encore que cette mention ne bénéficie plus de la même aura qu’avant –, tandis que le collectionneur donnera l’impression d’avoir été suffisamment courageux ou intuitif pour acheter des ensembles entiers d’un artiste.
De source marchande, une partie des œuvres allemandes exposées dans la collection de Don et Mera Rubell à Miami n’appartiendrait pas aux collectionneurs, mais aurait été « prêtée » par une galerie. Les collections ouvertes au public au moment de la foire Art Basel Miami Beach ont un rôle prescripteur en matière de goût, et la ficelle est évidente. Il est clair qu’après avoir vu une enfilade d’œuvres de l’école de Leipzig, les gens se pressent naturellement sur le stand de Eigen Art (Berlin). Mais que des professionnels transforment une collection privée en collection témoin, comme on parle d’appartement témoin, la couleuvre est plus dure à avaler.
Nous abordons vraisemblablement une nouvelle ère dans les relations entre collectionneurs et marchands. D’après le New York magazine, le galeriste new-yorkais Zach Feuer (LFL) proposerait même à ses clients des contrats d’un nouveau genre selon la formule « achetez Dana Schutz en pack de deux »… et donnez l’une des pièces à une institution ! Une opération qui offre des avantages fiscaux au donateur et « booste » la carrière de l’artiste. Les collectionneurs ont donc une fonction multicarte : ils investissent parfois dans les galeries comme ce fut le cas de Jean-Pierre Lehmann avec la galerie The Project (New York) (lire le JdA n° 210, 4 mars 2005) ou Bernard Herbo avec la galerie Emmanuel Perrotin (Paris). Selon un principe de panurge, ils donnent le ton et incitent les autres membres du club international de l’art contemporain à acheter des pièces, ce qui consolide un marché. Et, depuis peu, ils prêtent, semble-t-il, leurs murs à des dépôts de galerie. Dans d’autres sphères, on parlerait de trafic d’influences.
(1) jusqu’au 5 juin au County Hall à Londres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Des collections témoins ?