Collectionneurs

Des collectionneurs de plus en plus puissants

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 2 octobre 2017 - 732 mots

Le couple marchand-collectionneur a pris l’avantage sur le couple musée-critique pour faire et défaire la cote des artistes.

Alors que la Fiac concentre durant quelques jours des collectionneurs du monde entier à Paris, force est de constater à quel point la légitimation d’un artiste a changé de mains en quelques décennies. Au XIXe siècle et durant une partie du XXe, le couple conservateur de musée-critique d’art établissait la valeur d’un artiste. Depuis quelques décennies, on observe un glissement de ce pouvoir vers le couple marchand-collectionneur, comme le soulignait l’universitaire Nathalie Moreau lors d’une table ronde organisée par le Conseil des ventes volontaires (l’autorité de régulation du marché de l’art) avant l’été 2017.

À mesure que les caisses de l’État et des collectivités territoriales se vident et que leur marge de manœuvre se réduit, les musées publics se fragilisent : pour monter leurs expositions, ils doivent de plus en plus recourir aux galeries, maisons de ventes et collectionneurs privés. Parallèlement, la presse elle-même s’est affaiblie.
 

La prise de pouvoir des musées privés

À l’inverse, les musées privés prolifèrent. La concentration des richesses, alliée à la concurrence que se livrent les milliardaires à qui aura le plus bel écrin pour ses artistes, font émerger des espaces ambitieux, à l’architecture souvent spectaculaire. Après les États-Unis puis l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie sont les nouveaux terrains de jeu de gros collectionneurs. Et ces derniers sont souvent des hommes d’affaires qui n’aiment pas perdre et n’hésitent pas à miser sur la valorisation de leurs protégés, en se donnant les moyens d’y parvenir. Dans un contexte de financiarisation croissante, la puissance économique décide donc de plus en plus de la valeur artistique. Au sein même de l’Adiaf, qui regroupe quatre cents collectionneurs, on reconnaît que la façon de collectionner a changé. Auparavant, lorsque l’on aimait un artiste, on le soutenait du début à la fin de sa carrière ; aujourd’hui, la manière de collectionner est plus spéculative.

À l’opposé, les acteurs publics ont des difficultés à considérer leur rôle économique autrement qu’au travers de leurs acquisitions. Et, souvent, ils sous-estiment même la valeur de leur « marque », de leur « label », lorsqu’ils négocient avec les mécènes. Pourtant, des noms comme le Louvre, Versailles ou le Centre Pompidou sont des cautions inestimables. Quand Anne Hidalgo, maire de Paris, se laisse séduire par la sculpture en forme de fleur soi-disant offerte par Jeff Koons, on peut réellement se demander qui est gagnant dans l’opération : cet artiste américain à qui l’on offre un emplacement majeur ou la Ville de Paris qui va devoir trouver trois millions d’euros pour fabriquer l’œuvre, contribuant du même coup à accroître la notoriété de l’artiste et de sa galerie pour une valeur bien plus importante ?
 

Des stratégies aussi spéculatives

Avec la puissance de tir des musées privés les plus récents, comme la Fondation Vuitton créée par Bernard Arnault ou bientôt la Bourse de commerce transformée par François Pinault, le déséquilibre risque encore de s’accentuer. Alors, certes, les conservateurs publics n’ont pas l’apanage du bon goût, et des collectionneurs comme Antoine de Galbert ou Bruno Ducharme ont ainsi permis de révéler davantage les artistes de l’Art brut, par exemple à la Maison rouge. Mais certaines démarches, probablement moins sincères et désintéressées, sont avant tout marketing, comme celle du publicitaire Saatchi et de ses Young British Artists en Angleterre, qui a mis notamment en lumière Damien Hirst. De la même façon, l’apparition de galeries aux succursales multiples, comme Gagosian, ou de maisons de ventes devenues des multinationales et passées maîtres dans l’art de monter des « coups culturels » va dans le même sens. D’ailleurs, les fausses ventes aux enchères, durant lesquelles des complices se concertent pour faire monter la cote d’un artiste, sont régulièrement dénoncées.

Comment inverser ce processus ? Certains, comme Jean de Loisy au Palais de Tokyo, cherchent à diversifier leurs soutiens privés pour diluer les pouvoirs, quand d’autres, comme Serge Lasvignes au Centre Pompidou, réfléchissent à impliquer davantage les mécènes et collectionneurs dans l’élaboration de programmes auxquels ils croient et sur lesquels ils ne lâchent rien sur le plan artistique. Mais il faudrait que les institutions se concertent davantage au lieu de se lancer dans des concurrences stériles et que les formations des conservateurs intègrent une sensibilisation plus grande aux dérives du marché, avec des galeries et des maisons de ventes devenues maîtresses dans l’art de se positionner comme de véritables institutions culturelles.

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : Des collectionneurs de plus en plus puissants

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