Jean-Pierre Osenat, président du Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev), relève l’indépendance des études et leur capacité à s’adapter à la mondialisation en cours des ventes aux enchères.
Quel regard portent aujourd’hui les commissaires-priseurs sur leur profession ?
Il y a un métier, mais il y a mille façons de l’exercer. C’est ce que j’apprécie et c’est aussi ce qui fait la force et la particularité de notre marché. Je ne pense pas qu’il faille aller dans le sens d’une centralisation. Ce métier est déjà en permanente évolution. Que de transformations depuis vingt ans, peut-être plus qu’en deux cents ans. La formation longue et difficile des confrères est la plus à même de donner un maximum de garanties à nos clients, elle les distingue de leurs confrères étrangers. Les commissaires-priseurs rendent un vrai service à leurs clients en leur permettant, grâce à une totale transparence, d’obtenir le vrai prix de l’objet qui leur est confié. Le marché de l’art fait partie d’un secteur économique qui est porteur d’une excellente image à l’étranger comme la mode, le luxe, la gastronomie, les parfums, et dans une économie française en difficulté, notre secteur d’activité n’est certainement pas le plus fragile.
Drouot est en perte de vitesse, comment faire pour inverser la courbe ?
Si la courbe baisse, c’est parce que chaque année, quelques commissaires-priseurs vendent en dehors de Drouot, réduisant ainsi le produit vendu. Pourquoi désertent-ils Drouot ? Il faut leur poser la question. Tout ce que je sais, c’est que ceux qui continuent de vendre à Drouot n’ont pas vu leur chiffre d’affaires baisser, bien au contraire. Peut-être que Drouot devrait s’ouvrir à d’autres confrères parisiens ou provinciaux. Du reste à l’étranger, on connaît plus Drouot, qui est devenu une marque, que les maisons de ventes qui y officient. Mais Drouot reste incontournable pour le marché français, c’est un outil extraordinaire.
Les commissaires-priseurs ont-ils intérêt à se regrouper ?
Les commissaires-priseurs sont très individualistes, ce sont des entreprises très indépendantes et très concurrentes. Ce n’est donc pas si facile après des années d’individualisme de se retrouver dans une structure commune. Il faudrait sans doute mutualiser un certain nombre de choses, comme la publicité, les catalogues, les transports. Mais ce n’est pas simple, c’est une histoire d’hommes.
Que pensez-vous de l’ouverture des opérateurs à l’international ?
Les études sont toutes ouvertes à l’international. Les étrangers savent où nous trouver, il ne faut pas oublier que le nombre d’achats étrangers en France est considérable. C’est « chic » d’acheter en France et en général, il y a plus de sécurité et de garanties qu’il peut y en avoir dans d’autres pays, et notre pays reste un grenier très convoité. En revanche, l’ouverture de bureaux à l’étranger peut permettre aux confrères d’y rencontrer des vendeurs potentiels, voire d’organiser des ventes sur place.
Existe-t-il encore une réelle différence entre le marché de l’art à Paris et en province ?
En province, beaucoup d’amateurs achètent et vendent des objets d’art et n’ont pas du tout envie de venir à Paris pour le faire, trouvant sur place des commissaires-priseurs tout à fait compétents. Les objets chinois font exactement le même prix, qu’ils soient vendus à Bordeaux, à Dijon ou ailleurs. D’énormes progrès ont été faits en la matière. Bien sûr reste le problème de l’approvisionnement des salles. Raréfaction de la marchandise, changement de goûts, concurrence d’Internet, centralisme parisien, le problème reste entier.
Vous avez réagi aux propos de Catherine Chadelat dans une interview accordée au Figaro. Le Symev se place-t-il comme un contrepoids du Conseil des ventes volontaires (CVV) ?
Il n’est pas question de contrepoids. Le CVV est un organe de régulation et de contrôle de la profession avec une fonction disciplinaire et le Symev, un organe de représentation et de défense de la profession. Chacun reste dans son rôle. La réponse que nous avons faite est vraiment très collégiale. Le Symev est un syndicat, il se doit de réagir pour faire entendre la voix de ses adhérents.
Pensez-vous que les ventes de gré à gré vont se développer au détriment de la vente publique ?
Aujourd’hui, la vente de gré à gré reste extrêmement limitée aux trois ou quatre sociétés qui font la course en tête, les autres en font très peu. Les OVV vont peut-être y venir un peu mais ce n’est ni la culture ni la formation du commissaire-priseur actuellement. La vente de gré à gré est une formidable possibilité offerte à la profession de se diversifier, d’offrir à nos clients vendeurs et acheteurs une autre voie. Ce n’est pas une mutation de la profession, mais plutôt une étendue de nos compétences.
Internet est-il une opportunité ?
Les commissaires-priseurs n’ont pas pris de retard dans ce domaine. Ils ont tout intérêt à ce que l’information de leurs ventes ne se limite pas à leur site et soit relayée par des plates-formes françaises ou internationales (Interencheres.com, Drouot.com, Invaluable.com, Auction.com, Le Figaro avec the-saleroom.com, etc.). Plus on est visible, plus le nombre de clients potentiels est élevé. Du reste, une évolution de la présentation des ventes en direct sur l’écran me paraît indispensable. Aujourd’hui l’image est extrêmement banale, un gros plan sur le commissaire-priseur et son marteau. Je pense qu’il faut passer à une mise en scène plus vivante et plus attrayante afin que l’amateur qui déserte un peu les salles puisse assister sur son écran au même spectacle que celui qui lui est offert quand il assiste à la vente. Au commissaire-priseur de s’adapter et de s’adresser à ce nouveau public quasi illimité.
Christie’s et Sotheby’s constituent-ils une menace pour les commissaires-priseurs français ?
Christie’s et Sotheby’s n’ont pas vocation à faire disparaître les commissaires-priseurs français, ni d’avoir le monopole des ventes aux enchères. D’ailleurs Christie’s et Sotheby’s France font tout pour que les objets importants soient vendus en France et non pas à Londres ou à New York. Concernant les frais vendeurs, ils sont identiques à ceux des autres confrères, finalement souvent adaptés en fonction du prix des lots confiés.
Il ne faut donc pas s’inquiéter de l’avenir du métier de commissaire-priseur ?
J’ai une grande confiance en l’avenir des commissaires-priseurs français et du marché de l’art en général. Ils ne sont pas en train de disparaître, ils sont en train de s’adapter car le marché a changé. C’est certainement une bonne chose de se spécialiser, on en devient que meilleur, ce qui n’empêche pas que le commissaire-priseur doive rester un généraliste. Mais il est certain que les salles ne peuvent plus espérer faire leur chiffre avec les armoires normandes. Pour autant, d’autres spécialités ont émergé et viennent compenser le manque à gagner que représente la baisse des prix du mobilier classique. Le goût des amateurs a changé. Les salles des ventes de demain seront certainement plus numériques, et les enchères sur Internet prendront peut-être le pas. Les marchands ont lutté contre la désertion des clients dans leurs galeries en se regroupant dans des foires comme Maastricht, Bâle, la Fiac ou la Biennale. Peut-être les commissaires-priseurs devront-ils faire la même chose, une concentration de ventes aux enchères, dans un même lieu, à une période donnée. Unité de temps, unité de lieu. Le marché français se porte bien, reste attrayant pour les investisseurs étrangers, et cela est d’autant plus remarquable avec les fardeaux que nous traînons : taxe, fiscalité, impôts, droit de suite, TVA à l’importation, plus-value, sécurité sociale des artistes, réglementation CITES, etc. Si ces prélèvements et contraintes sont compréhensibles pour l’intérêt général, ils ne facilitent pas la tâche des commissaires-priseurs français. Leur mérite n’en est que plus grand.
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Des acteurs très personnels
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Des acteurs très personnels