De main de Maître

Un primitif allemand décroche un record à Drouot

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 1032 mots

Au vu des résultats atteints à la mi-décembre, Drouot devrait connaître une fin d’année encore meilleure qu’en 1997, grâce en particulier à un panneau du Maître de la Passion de Karlsruhe, adjugé 27 millions de francs. Cette Flagellation du Christ avait tous les atouts dont rêvent les propriétaires de tableaux : être totalement inédite, constituer le dernier élément d’un ensemble, et bénéficier d’une autorisation de sortie de France l’offrant ainsi au marché international.

PARIS - Le 9 décembre à Drouot, la Flagellation du Christ du Maître de la Passion de Karlsruhe a été adjugée 27 millions de francs à un collectionneur anglo-saxon par Me Pierre Cornette de Saint-Cyr, un record français et le troisième meilleur prix mondial pour un primitif allemand. Cette œuvre, uniquement connue par une photographie réalisée à l’occasion de la vente de la collection Raedt van Oldenbarnevelt à Amsterdam, en 1902, dans laquelle elle était attribuée à Holbein l’Ancien, était considérée comme perdue depuis. Reconnue une première fois en 1928, puis clairement identifiée en 1996 par le commissaire-priseur et l’expert René Millet comme faisant partie du célèbre Retable de la Passion de Karlsruhe, dont aujourd’hui six panneaux se trouvent au Musée de Karlsruhe et un septième au Musée de Cologne, elle se trouvait dans une collection particulière française. “Le sujet du tableau est difficile et pas du tout commercial. S’il a flambé, c’est qu’au-delà du sujet, c’est un chef-d’œuvre absolu. On l’avait estimé 4 millions de francs en pensant qu’il monterait peut-être jusqu’à 15, mais, pour l’évaluer, on n’avait pas de notion de prix, seulement celle de chef-d’œuvre”, indique Bertrand Cornette de Saint-Cyr, qui a organisé la vente avec son père. La lutte a été acharnée entre les musées et les collectionneurs et, à partir de 5 millions de francs, les enchérisseurs étaient tous étrangers, le panneau bénéficiant d’un certificat de libre circulation. L’étude salue cette décision : “Catherine Trautmann a eu le courage de donner le passeport laissant au Musée de Karlsruhe la chance de l’acheter. C’était un très beau geste de coopération européenne. Le musée, qui a été très courageux en poussant les prix très loin, a dû renoncer dans les dernières enchères”.

En revanche, l’étude Beaussant-Lefèvre était déçue que le tableau de Charles Le Brun, Suzanne devant ses juges, qu’elle mettait en vente le 4 décembre à Drouot, soit frappé d’une interdiction de sortie de France. Prudemment estimé 2 à 3 millions de francs, il a été acquis 3,6 millions de francs par un particulier français, après une bataille d’enchères entre marchands et collectionneurs. Me Éric Beaussant estime qu’”on a pénalisé une grande peinture en détournant les acheteurs et les musées étrangers, alors qu’il y a tant de Le Brun au Louvre et à Versailles. Le tableau n’a pas fait un prix international, mais il s’agit quand même d’un vrai prix pour un chef-d’œuvre, et c’est ce qui explique qu’il n’ait pas été préempté”. Le reste de la vente s’est bien déroulé, totalisant 10 millions de francs. Une paire de toiles de Joseph Vernet est partie à 1 950 000 francs, quatre fois l’estimation, ce qui n’a pas étonné Me Beaussant : “Les tableaux faciles, séduisants et en bon état sont toujours très commerciaux”. Plus surprenant a été le prix de 337 000 francs pour une huile sur panneau de l’atelier de Pieter Bruegel Le Jeune, le Retour de la kermesse, estimée 30-50 000 francs. “C’est un style de peinture très à la mode qui plaît beaucoup, remarque le commissaire-priseur, mais s’il avait été un vrai Bruegel, il aurait fait un zéro de plus”.

Art moderne et contemporain
Les tableaux modernes et sculptures proposés par l’étude Millon-Robert, le 2 décembre, ont plutôt satisfait les marchands, tous acquéreurs des plus belles pièces. Le Bassin à flots de Signac, estimé 700-800 000 francs, s’est envolé à 2,1 millions de francs, l’Orchestre de Dufy, estimé 450 000 francs, a fait 1,55 millions de francs, et un bronze de Rodin, l’Éternel printemps, est parti à 1 560 000 francs, le double de l’estimation haute, comme la Jeune femme lisant de Boldini, qui a atteint 1,2 million de francs. En revanche, le tableau de Monet, la Seine à Lavancourt, 1879, estimé 2,5-3,5 millions de francs, n’a pas trouvé preneur. Pour l’expert Jean-Marcel Camard, “les pièces aux estimations très alléchantes étaient attractives. Vierges ou inconnues du marché pour la plupart, elles avaient toutes une provenance, ce que le marché adore. Quant au Monet, il était trop connu. Passé en vente il y a quatre ans à 1,9 million de francs, il avait une prétention un peu haute”. Me Jean-Claude Binoche reconnaît également avoir été “un peu trop enthousiaste” sur les chances du Max Ernst, Fleurs-coquillages, d’atteindre l’estimation de 3-3,5 millions. Adjugé 2 050 000 francs le 8 décembre, à Drouot, “il a tout de même fait un bon prix qui prouve que si Ernst n’est pas un peintre très commercial, il reste un des grands artistes de son époque”, ajoute le commissaire-priseur.

La vente du 5 décembre dirigée par Me Francis Briest portait aussi sur l’art contemporain. La meilleure enchère, 1,4 million de francs, est allée à une œuvre de Hans Hartung, T 1953-5, provenant du Corsortium de Réalisation et estimée 700-900 000 francs. Avec un peu plus de 9 millions de produit vendu, il s’agit de la vente d’art contemporain la plus importante en France depuis 1992. Elle faisait suite à la vacation d’art moderne du 4 décembre, qui a obtenu des résultats inégaux avec la moitié des lots vendus pour un peu moins de 13 millions de francs. Un dessin-empreinte de Gauguin, Famille tahitienne, estimé 2,5-3,5 millions, a été adjugé 4,1 millions de francs, mais le Plaisir, une gigantesque huile sur toile de 2,46 x 3 m que Bonnard a exécutée pour l’appartement de Misia Sert, provenant de l’indivision Maeght et estimé 22-25 millions, est resté invendu. L’œuvre avait pourtant été très convoitée par les Musées nationaux, qui souhaitaient l’acquérir si l’on en croit une lettre de la DMF de 1996, représentée alors par Françoise Cachin. L’étude est “plutôt déçue que les musées français ne soient pas intervenus. Il est vrai que ce tableau était trop important pour les collectionneurs privés, qui n’ont pas suivi au-delà de 16 millions de francs”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : De main de Maître

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