La Galerie Malingue tente de rendre sa juste place à Émile Bernard,
figure emblématique de l’école de Pont-Aven.
PARIS - Émile Bernard (1868-1941) fait partie de ces artistes dont la place dans l’histoire de l’art est restée bancale. Son combat pour affirmer l’antériorité de ses Bretonnes dans la prairie, toile réalisée en 1888 alors qu’il avait à peine 20 ans, sur La Vision après le Sermon, ou la Lutte de Jacob avec l’ange, de Paul Gauguin, n’a jamais été tranché.
En dépit des querelles de paternité, une chose est sûre : Gauguin et Émile Bernard ont tous deux formulé à Pont-Aven les préceptes d’une nouvelle esthétique appelée synthétisme, ouvrant la voie aux Nabis. Reste que l’histoire n’a pas vraiment retenu le nom du jeune peintre fougueux. Le catalogue de l’exposition consacrée en 2003 à ce mouvement au Musée du Luxembourg, à Paris, est éloquent. Les pages dédiées à Bernard font surtout la part belle à… Gauguin. Denise Delouche le décrit même comme un « jeune homme hardi, aux essais variés, sinon contradictoires, aux audaces fulgurantes, aux brillants exposés mais sans conviction profonde ».
Sa meilleure période
L’exposition que consacre jusqu’au 17 juillet la Galerie Malingue (Paris) à Émile Bernard entend du coup rendre à César ce qui est à César. Elle ne procède toutefois pas à un accrochage chronologique, qui faciliterait sa réévaluation. Car c’est bien la datation qui a été au cœur de la rancœur tenace d’Émile Bernard. Le parcours révèle les différents chemins qu’emprunte l’artiste. On peut ainsi voir une nature morte plutôt académique de 1887, année où il réalise aussi bien Des cavalières dans la forêt, marqué par le cloisonnisme de Louis Anquetin, que les Faneuses, où pointe l’influence de Van Gogh.
La présence dans la troisième salle de la galerie des Bretonnes dans la prairie, issue d’une collection privée, fait l’effet d’une bombe. Dans ce tableau, Bernard abandonne la perspective et les détails, simplifie les formes en les rendant plus compactes, tout comme il cerne fortement les silhouettes. Celles-ci semblent flotter sur un aplat vert, à mille lieues du naturalisme alors en vogue. À mille lieues aussi de la vision analytique de l’impressionnisme. Ce tableau aura un tel impact sur Gauguin que celui-ci le montrera à Van Gogh.
Séduit par son originalité, le peintre hollandais en réalisera une copie. Face à cette toile, les Baigneuses et cygne rappelle aussi sa dette envers Cézanne, tout en annonçant le fauvisme. Avec ces deux tableaux, on se dit que Bernard avait un très gros potentiel. Le hic, c’est qu’une crise mystique le fait régresser vers le néoclassicisme. Perdant tout esprit radical, son travail vire au pastiche des maîtres anciens. À partir de 1904, Bernard échappe définitivement à l’avant-garde. L’exposition chez Malingue s’est bien heureusement gardée de montrer les œuvres postérieures à cette année, concentrant son hommage sur la période allant de 1887 à 1892, où l’artiste versatile fut brièvement inventif.
ÉMILE BERNARD, jusqu’au 17 juillet, Galerie Malingue, 26, avenue Matignon, 75008 Paris, www.malingue.net, tél. 01 42 66 60 33, du mardi au vendredi 10h30-12h30 et 14h30-18h30, lundi et samedi 14h30-18h30.
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Dans l’ombre de Gauguin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Dans l’ombre de Gauguin