PARIS - Voilà quelques années, l’historienne de l’art Anne Tronche disait d’Hervé Télémaque (né en 1937) : « Son ambition est de conduire la peinture le plus loin possible, là où il ne peut pas le prévoir, là où il va se surprendre lui-même. » Et surprendre le spectateur. Certes, l’exposition que lui consacre jusqu’au 8 octobre la galerie Louis Carré & Cie, à Paris, ravive le vocabulaire habituel de l’artiste tout en lignes claires, aplats ponctués de détails figuratifs, surgissant presque comme des diables de leurs boîtes. On retrouve aussi des figures familières, comme le tireur sénégalais de La Coloniale (2009), lointain cousin du Fonds d’actualité (2002) ou de Banania III (1964). Mais Télémaque n’a rien perdu de son ironie corrosive.
Trait souple et relâché
Le visiteur sera ainsi étonné par la nouvelle série sur le thème de la canopée. Une peinture mûrie pendant les années d’hémiplégie, où il bataillait pour reprendre le contrôle de ses membres. La main hante d’ailleurs plusieurs de ses tableaux, une pince verte telle une prothèse, ou rose tel un gant souple de caoutchouc. L’accrochage fait même la part belle aux pochades que Télémaque a réalisées durant sa convalescence, suite de miniatures colorées comme autant de gammes. Dans toutes les peintures récentes, le trait est plus souple, presque relâché. Moins précises, les compositions n’en sont pas moins denses. Certaines sont travaillées à l’extrême comme Mode autre, l’inachevé, la canopée, l’une des plus belles toiles de l’exposition que l’artiste a mise quatre ans à achever, de 2006 à 2010. Qu’y voit-on ? Un resserrage des formes, complexes, touffues comme une forêt de nerfs dont on ne décèle pas le point nodal. Le regard exécute des ricochets, comme une boule sur une table de billard ou des étincelles dans un court-circuit. Jean-Paul Ameline, conservateur au Centre Pompidou, à Paris, donne une belle définition de ces nouvelles œuvres dans le catalogue de l’exposition : « Un pandémonium d’accords (où si l’on préfère, tout le désordre du réel, de la nature, de l’imaginaire…), mais bien collé-serré entre les quatre côtés du tableau pour la meilleure vue frontale possible et sous le regard neuf d’un gorille bien calé dans l’ordre de la peinture. »
Si Télémaque entend, de son propre aveu, rendre hommage à la nature, il évite toute tentation naturaliste. La toile se dépouille aussi de tout élément narratif. L’écriture est en revanche bien là, presque en mantra dans la série Brown Paper Bag, clin d’œil à l’humour des Noirs américains jaugeant de leur pigmentation, ou dans la série des Veilles mathématiques. Comme toujours, l’écriture n’agit pas en motif plastique, contrairement au cubisme – et ce malgré l’hommage appuyé de l’artiste à Picasso –, mais bien sémiologique. Et c’est bien en cela que la peinture de Télémaque n’a rien perdu de son énigme.
Jusqu’au 8 octobre, galerie Louis Carré & Cie, 10, avenue de Messine, 75008 Paris, tél. 01 45 62 57 07, www.louiscarre.fr, tlj sauf samedi et dimanche 10h-12h30 et 14h-18h30, lundi 14h-18h30
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Dans la canopée
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Dans la canopée