L’Europe reconnaît le système français de contrôle de compétences préalables pour les commissaires-priseurs.
On pourrait presque compléter cette fiction d’annonce de la mention : « CDD d’audience à pourvoir à la cour d’appel de Paris (1re ch. sect. A), profil de poste à déterminer, une bonne connaissance de la situation britannique serait un plus. »
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu le 7 septembre son arrêt sur les questions d’interprétation des textes communautaires posées par la cour d’appel de Paris. Puis elle a tranché le différent opposant le Conseil des ventes volontaires (CVV) à Harold Price, ressortissant communautaire qui considérait que les conditions posées par le CVV pour son habilitation comme directeur de ventes volontaires étaient abusives. Au passage, on observera la relative célérité de la procédure puisque la question de la cour de Paris était parvenue à la Cour de justice le 4 avril 2005. Mais l’affaire n’est pas définitivement close pour autant. En effet, il appartient maintenant à la cour d’appel de Paris de conclure sur ce litige à partir des interprétations des textes communautaires de la CJCE.
La Cour de justice déblaye
Les conclusions de l’avocat général (lire le JdA no 241, 7 juil. 2006, p. 30) avaient déjà débrouillé les textes, ce qui a permis à la Cour de justice d’être relativement laconique dans ces explications. Pour faire court, après avoir écarté les textes non directement pertinents dans la cause (la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992), la CJCE a jugé que la directive 89/48/CEE du Conseil (21-12-1988) « est susceptible de s’appliquer à un tel demandeur ». S’attachant ensuite à la situation française, qu’avait longuement analysée l’avocate générale, la CJCE observe qu’une « profession dont l’accès est soumis à la possession d’un diplôme en droit sanctionnant des études d’une durée au moins égale à deux ans constitue une profession dont il peut être présumé que l’exercice exige une connaissance précise du droit national au sens de l’article 4, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 89/48, telle que modifiée par la directive 2001/19 ».
Balisant à l’avance la recherche des juges français, la Cour ajoute : « Il n’est pas nécessaire pour l’application de cette disposition que l’activité en cause implique la fourniture de conseils et/ou d’assistance concernant l’ensemble du droit national ; il suffit qu’elle porte sur un domaine spécialisé et constitue un élément essentiel et constant de ladite activité. Dans ce contexte, il est nécessaire de se référer en particulier à la pratique normale de la profession en cause. »
La balle est désormais dans le camp de la cour d’appel de Paris.
De l’incidence des géomètres anglais
La cour d’appel de Paris aura d’abord à s’assurer que la direction des ventes volontaires ne fait pas l’objet d’une réglementation en Angleterre. Pour la CJCE, l’application de la directive 89/48/CEE du Conseil (21/12/1988) peut-être possible « si la profession de directeur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques dans l’État membre dans lequel ledit demandeur a acquis les qualifications dont il se prévaut n’est pas une profession réglementée au sens de cette directive. Il appartiendrait le cas échéant à la juridiction de renvoi de déterminer si tel est le cas ». Cette dernière mention invite les juges français à vérifier la situation en Angleterre, où Harold Price a acquis sa qualification. Sur ce point, l’absence de réglementation a été clairement constatée par la Cour de justice (Arrêt 44), quelque peu brouillée avec les références du demandeur mentionnant dans ces acquis une certification de la Royal Institution of Chartered Surveyors. La CJCE observe en effet qu’elle « est une organisation spécifiquement reconnue au Royaume-Uni en ce qui concerne l’exercice de la profession de géomètre expert [chartered surveyor] ; il n’est toutefois pas certain qu’elle bénéficie de la même reconnaissance ».
L’examen contribuera peut-être à ouvrir des perspectives sur les modes nationaux de certification, à conduire à des comparatifs avec d’autres États – la République fédérale d’Allemagne par exemple –, puisque la question de la CJCE est fondée sur la faculté de « réglementation par une association ou une organisation reconnue par l’État ».
La cour d’appel devra ensuite vérifier que le conseils et/ou l’assistance sur le droit français « constitue[nt] un élément essentiel et constant de l’activité » d’un directeur de ventes volontaires. Il lui faudra donc caractériser cet élément en se référant, comme l’y invite la Cour de justice, à la pratique normale de la profession. Bref, les juges d’appel devront instruire la pratique du directeur des ventes. Et sur la question juridique, il leur faudra ramer à contre-courant de la réforme. En effet, la loi de réforme, dans son article L. 321-9, a cantonné l’activité du directeur des ventes volontaires en précisant : « Les personnes mentionnées à l’article L. 321-8 sont seules habilitées à diriger la vente, à désigner le dernier enchérisseur comme adjudicataire ou à déclarer le bien non adjugé et à dresser le procès-verbal de cette vente. »
Outre que le directeur des ventes volontaires n’est plus officier ministériel ni « maître », ce malgré l’usage persistant de la dénomination et du titre, usage contre lequel le CVV s’élève, les procès-verbaux qu’il rédige ne sont plus des actes authentiques, leur enregistrement fiscal étant même facultatif. Le fait de désigner l’adjudicataire relève beaucoup plus d’un geste commercial que d’un conseil ou d’une assistance juridique. Et les SVV n’ont eu de cesse de voir modifier les dispositions sur la folle enchère, en quelque sorte trop juridique pour être commerciale…
Quant à toutes les singularités de la réforme telles que les garanties aux vendeurs ou aux acheteurs, les questions d’assurance, les responsabilités du fait de la provenance – livre de police, garantie de délivrance, d’éviction ou de vices cachés –, lorsqu’elles ne résultent pas du droit commun, elles sont mises à la charge des SVV, sociétés commerciales, et non du directeur des ventes. Le CVV lui-même s’est inquiété de l’inadéquation de la formation des futurs directeurs des ventes volontaires, trop fixée sur le droit, et souhaite développer la gestion et la comptabilité (et l’anglais !). Il propose d’étendre les matières des examens à un « test d’anglais et des matières économiques et comptables » (rapp. 2005 du CVV p. 110) [lire ci-dessous].
Le CVV en porte-à-faux
Dans leur désir de sécuriser leur périmètre d’action en tenant en lisières les nouveaux arrivants, après avoir exercé ou rempilé comme commissaires-priseurs judiciaires, les anciens officiers ministériels se sont battus pour que soit déniée aux SVV dans lesquelles opèrent les directeurs de ventes volontaires toute opération susceptible de relever peu ou prou d’un exercice un peu élaboré du droit. En obtenant l’exclusion des SVV de toute vente faite par autorité de justice, même si elles présentaient un caractère volontaire (voire l’affaire Giacometti avec Christie’s). Même en ce qui concerne les inventaires de succession – moment clé du conseil et de l’assistance juridique –, il a fallu un courrier du ministère de la Justice pour affirmer que les inventaires estimatifs en matière fiscale ne constituaient pas le monopole des commissaires-priseurs judiciaires.Et la croisade contre les huissiers et notaires, qui sont, eux, des professionnels du droit indiscutables, ne ferait que compléter l’image d’une profession qui n’a que faire des juristes.
Dans l’activité de directeur de ventes volontaires, le conseil et/ou l’assistance juridique semblent absents ou très accessoires. Comme une espèce d’écho inversé des arguties autour du caractère accessoire ou non des ventes volontaires organisées par les huissiers.
Le CVV va devoir démontrer que le directeur de ventes volontaires, tout entier dévoué à la transparence du marché, à la traçabilité impeccable des biens vendus, à la rigueur absolue des experts officiant auprès de lui, à l’origine limpide des fonds encaissés, bref à la régularité extrême des vacations dans l’intérêt du consommateur, est redevenu un auxiliaire de justice. Tâche ardue, pour un résultat paradoxal. Si la cour d’appel donne raison au CVV, sa décision pourrait contribuer indirectement à l’enfermement du marché et freiner la modernisation et l’ouverture recherchées par le Conseil. Après tout, l’essentiel est déjà acquis dans cet arrêt de la CJCE : la reconnaissance communautaire du système français de contrôle de compétence préalable.
(CJCE, 7 sept. 2006, affaire C 149/O5, Harold Price contre Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques)
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CVV recherche CV de DVV (H/F) suite arrêt CJCE
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°245 du 20 octobre 2006, avec le titre suivant : CVV recherche CV de DVV (H/F) suite arrêt CJCE