Art contemporain - Galerie

ART CONTEMPORAIN

Cruz-Díez sans bémol

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2019 - 802 mots

PARIS

Décédé cet été, le fameux représentant de l’art cinétique et théoricien de la couleur avait travaillé en vue de l’exposition prévue cet automne à la Galerie Denise René. Des chromographies inédites sont présentées au côté de pièces majeures.

Cet « Hommage à la couleur » n’est pas une énième exposition de Carlos Cruz-Díez. Elle n’est pas non plus une exposition de circonstance, liée à son décès survenu le 27 juillet dernier à presque 96 ans (il était né un 17 août 1923 à Caracas au Venezuela et s’était installé à Paris depuis 1960). Elle est même d’autant moins opportuniste qu’elle a été préparée de son vivant, il y a deux ans, comme en témoignent des œuvres spécialement réalisées pour l’occasion et encore jamais montrées. À l’exemple, dès l’entrée de la galerie, de ce grand Chromoscope spatial [voir ill.], une œuvre immersive composée de lanières de tissu jaune dans laquelle le spectateur pénètre – un « Pénétrable » en quelque sorte – pour voir se modifier, en fonction de ses déplacements, la perception d’une lumière blanche dégagée par des LED installées sur des barres verticales métalliques. Comme la vision, par moments floutée, des lumières de la ville. Carlos Cruz-Díez avait eu l’idée de ce principe dès 1967-1968, mais sous la forme de petits objets, des boîtes parallélépipédiques à placer devant les yeux, à la manière de ces visionneuses à diapositives, pour voir les scintillements urbains. Trois de ces petites boîtes sont d’ailleurs présentées dans une vitrine, accompagnées d’une photo de Denise René en train de regarder le monde à travers ce prisme. Datée de 1969, la photo a été prise lors de la première exposition personnelle de Cruz-Díez chez celle (alors installée rive gauche) qui restera toujours sa galeriste depuis leur rencontre en 1955 dans le cadre de l’exposition « Le Mouvement ».

Parallèlement à cet environnement sont présentées de façon inédite trois œuvres datées de 2018 et 2019, des chromographies sur aluminium qui ont la particularité de jouer avec la couleur, comme toujours chez Cruz-Díez, à l’aide non pas de lamelles comme à son habitude mais de cordons élastiques noirs, une première pour l’artiste. Selon le déplacement du spectateur, ces cordons modifient la lecture de l’œuvre, jusqu’à en occulter le fond coloré et donner l’impression d’un tableau monochrome. Denis Kilian, directeur de la galerie (et neveu de Denise René), précise que le décès de l’artiste a« ensuite forcément un peu changé la donne de l’exposition que nous avons remodelée ».

Les lamelles colorées

Dans une volonté manifeste et judicieuse de montrer différents aspects du travail de l’artiste, sans faire pour autant une rétrospective, la sélection d’une trentaine d’œuvres rappelle que Cruz-Díez a utilisé trois types de lamelles avant les cordons, pour jouer sur toutes leurs facettes au sens propre de l’expression : les lamelles translucides, en plastique, qui laissent passer les tonalités des fonds et s’amusent de leur superposition puis de leur succession ; les lamelles opaques ; et enfin les lamelles miroirs en acier inoxydable qui, par définition, reflètent directement la couleur.Physichromie 1125 (1978), seule de ce type ici, est l’une des pièces majeures de l’accrochage.

À leur côté on découvre des œuvres en deux dimensions, peintures à l’acrylique sur aluminium, à l’exemple de cette Induction du jaune (2016), qui, par magie, donne l’impression que du jaune se glisse entre ses trois couleurs (bleu, blanc, noir) alors qu’il s’agit d’un pur effet d’optique. Mais aussi une sculpture, Transchromie Dames A Permutation 3 (1965/2009), qui fait jongler dans l’espace un vert, un orange, un bleu. Histoire de ponctuer de très belle façon ce qui se révèle être une joyeuse fête de la couleur engendrée par celui qui en a toujours été l’un des grands penseurs et théoriciens. Lors de sa précédente exposition dans cette même galerie à l’été 2016, une phrase était écrite sur les murs de l’entrée : « La couleur s’est révélée à moi comme un moyen puissant de stimuler la perception de la réalité. » Il nous avait d’ailleurs confié un jour : « Je voulais la couleur pour elle-même, c’est la notion que je voulais mettre en jeu. » Et de rappeler qu’il avait très rapidement pris « la décision d’aller dans la couleur en espérant qu’avec elle [il] arriverai[t] peut-être à inventer quelque chose qui n’avait pas encore été fait ». Ce à quoi il est indéniablement arrivé en donnant vie, forme, corps et mouvement à la couleur, en montrant son instabilité, ses changements et mutations en fonction de nombreux paramètres, notamment les déplacements du spectateur.

Sa cote aussi est haute en couleur, qui va de 60 000 dollars à 590 000 dollars pour la plus grande pièce (3 m x 1 m). Cruz-Díez est l’un des acteurs principaux de l’art optique et cinétique et « ses prix ont toujours monté, tranquillement. D’ailleurs, ils n’ont pas bougé depuis son décès, ce qui à mon sens est une bonne chose », précise Denis Kilian.

Carlos Cruz-Díez, hommage à la couleur,
jusqu’au 30 novembre, Galerie Denise René-Espace Marais, 22, rue Charlot, 75003 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : Cruz-Díez sans bémol

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