Salon d'antiquaires

Coup de barre à l’Est

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2006 - 798 mots

La Foire des antiquaires de Moscou, qui a basculé de l’automne au printemps, a gagné en exposants russes ce qu’elle a perdu en antiquaires européens.

 MOSCOU - Les visiteurs des deux premières éditions de la Moscow World Fine Art Fair peineront sans doute à la reconnaître cette année. Avant-poste des antiquaires européens en quête d’eldorado, la foire revêt soudain une coloration très locale avec 26 exposants russes sur 55 au total. Pourtant, seule une poignée d’enseignes autochtones échappe à la médiocrité. Le rang des joailliers se gonfle aussi de 20 participants. De telles inflexions risquent de peser sur la qualité d’un salon qui suscita à ses débuts un vrai séisme culturel.
Cette nouvelle identité découle moins d’un changement de stratégie des organisateurs que du désengagement, peut-être provisoire, des galeries occidentales. Le zéro pointé commercial, couplé aux coûts importants de transport, expliquent les désertions. Malgré la possibilité de vendre sur place sous le contrôle des services douaniers russes, les bourses ne se sont pas facilement déliées l’an dernier. Comme le précise Yves Bouvier, président de Art Culture Studio et courageux maître d’œuvre de l’événement, il est préférable pour les Russes de repérer les objets sur la foire et de les acquérir ensuite à l’étranger pour éviter le coût de la TVA à l’importation s’élevant à environ 19 %. Bien qu’actifs en ventes publiques, les Russes restent méfiants vis-à-vis des galeries. Le restaurateur-décorateur russe Andrei Dellos indique que, lors des précédentes éditions, certains marchands avaient augmenté leurs prix pour parer au marchandage agressif des Russes. Ces derniers réclament en effet souvent une remise de 50 % ! « Les galeries internationales ont rêvé de l’acheteur mythique russe capable d’acheter sans compter », commente la décoratrice Brigitte Saby, familière depuis dix ans des mœurs moscovites. « Pour l’instant, les amateurs éprouvent un certain vertige face aux prix demandés pour les œuvres d’art. » Rappelons enfin que la foire se tient à peine huit mois après sa précédente cuvée automnale. Pris en sandwich entre Tefaf Maastricht et la Foire de Bâle, l’événement n’a, cette fois, pas rallié les galeries modernes comme les New-Yorkais Helly Nahmad ou Marlborough. Certains antiquaires français ont de leur côté d’autres chats à fouetter avec la Biennale des antiquaires de Paris en septembre.
Malgré tout, les Parisiens Franck Laigneau, Steinitz, Cazeau-La Béraudière, Luc Bellier, Schmit, Ratton-Ladrière, Jean Gismondi et  la Galerie du XXe siècle font le voyage. La galerie Le Minotaure (Paris), dont le chiffre d’affaires s’effectue depuis deux ans à 60 % avec les Russes, ne quitte naturellement pas le navire. Ces fidèles sont rejoints par Downtown (Paris) et sa troïka Prouvé-Perriand-Arad, ainsi que par les Vallois (Paris) avec un ensemble de meubles de Diego Giacometti. Deux recrues d’autant plus insolites que les organisateurs avaient jusqu’alors misé sur l’antique ou l’Art nouveau. « Les Russes n’ont pas forcément connaissance de ce qui s’est fait dans les années 1950, précise toutefois Andrei Dellos. Ils sont réticents, car cela leur rappelle vaguement l’époque soviétique. »

L’art contemporain aussi
La foire bascule aussi dans le contemporain avec l’arrivée de Jérôme de Noirmont (Paris), lequel profite de la rétrospective parallèle de son artiste, Bettina Rheims, au Manège. Le galeriste a récemment vendu des pièces de Keith Haring, Pierre & Gilles et Bettina Rheims à des acheteurs russes via « des paiements normaux dans des timings normaux ». Caressant les oligarches dans le sens du poil, il prévoit notamment la série sur le pétrole de Fabrice Hyber. Le salon a également rallié quelques exposants moscovites de la foire d’art contemporain Art Moscow (17-21 mai) comme XL et Guelman. « Nous exposons au Manège pour voir comment l’art contemporain peut s’intégrer dans le contexte des antiquités, nous a confié Elena Selina, directrice de la galerie XL. Mais je ne pense pas qu’il y ait de grandes différences commerciales entre les deux salons, car nos collectionneurs visitent les deux foires. »
Certains observateurs craignent qu’à la longue Yves Bouvier ne se fasse souffler la vedette et la barre par un putsch des enseignes russes. « Il n’y a pas en Russie la notion de syndicat ou de groupe. Ils sont individualistes, assure l’intéressé. Les Russes sont demandeurs pour exposer à la foire. Ils sont honorés d’être aux côtés des étrangers et très bons payeurs en tant qu’exposants. Leur présence amène aussi des clients. » Soit, mais que feront les organisateurs dans l’éventualité d’un retour l’an prochain des galeries occidentales ? Il ne leur sera sans doute pas facile de déloger les recrues locales conviées cette année.

THE MOSCOW WORLD FINE ART FAIR

- Directeur du salon : Sixtine Crutchfield - Nombre d’exposants : 55 galeries, 20 joailliers - Tarifs des stands : 600 euros le m2 pour la section beaux-arts, 1 000 euros le m2 pour les joailliers - Nombre de visiteurs en 2005 : 55 000

THE MOSCOW WORLD FINE ART FAIR

23-29 mai, Manège, 1, place Manezhnaya, Moscou, www.moscow-faf.com, tlj 14h-18h, le 24 mai jusqu’à minuit.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Coup de barre à l’Est

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