La manifestation turque, de qualité inégale, doit composer avec les interdits.
Istanbul. On pourrait, à certains égards, comparer la foire d’art contemporain Contemporary Istanbul à la parisienne, Art Paris : une manifestation en majorité locale mais avec une présence internationale soutenue, où le moins bon côtoie des œuvres de bon voire très bon niveau.
Cette 14e édition de la manifestation stambouliote, qui se tenait du 12 au 15 septembre, accueillait une sélection réduite de 74 galeries (contre 83 en 2018), dont 30 turques. Aucun poids lourd du marché n’avait fait le déplacement. On y découvrait plutôt des galeries en général absentes des grandes foires d’art contemporain internationales, issues de pays européens ou limitrophes, notamment de Géorgie (LC Queisser, Project ArtBeat), d’Azerbaïdjan (Art Platform) ou de Bulgarie (Art Agency).
Ce millésime a bénéficié du coup de projecteur marquant l’ouverture simultanée de la 16e édition de la Biennale d’art contemporain et de la fondation privée d’art contemporain Arter, qui appartient à la famille Koç, une des plus grosses fortunes turques. Si de nombreux professionnels et amateurs sont venus, l’audience demeure majoritairement turque pour ne pas dire stambouliote. On note tout de même une volonté d’internationalisation, avec l’arrivée de la nouvelle directrice artistique, la Française Anissa Touati, à l’origine du partenariat avec la foire d’art contemporain marseillaise Art-O-Rama.
Le long des allées, l’offre est éclectique et inégale ; l’ensemble est marqué par un goût pour les couleurs criardes, et les prix des œuvres s’étendent de 4 000 à 700 000 euros. Cependant quelques galeries valaient le détour, à l’instar de The Pill (Istanbul), qui montrait les Vénus rétrofuturistes de Raphael Barontini, et les corps d’hommes transformés en objets de décoration par Soufiane Ababri. dans ses sculptures de céramique. Ou de la galerie Barro (Buenos Aires), qui présentait une exposition personnelle des sanguines grand format de catastrophes naturelles exécutées par Matías Duville.
Istanbul souhaite inscrire la culture sur sa carte de visite et prévoit l’ouverture d’une dizaine de musées d’ici à 2022 ; « Le gouvernement turc a réalisé l’importance du “soft power” que nous essayons de lui expliquer depuis des années », souligne Ali Güreli, directeur de Contemporary Istanbul. Et bien que le parti conservateur du président Erdogan, l’AKP, ait perdu les élections municipales contre le parti républicain représenté par Ekrem Imamoglu, une forme de censure plane toujours. Il faut être subtil sinon « on risque, comme les journalistes, de finir en prison », explique à voix basse au JdA un artiste turc habitant en Allemagne.
À l’entrée de la foire, la galerie Dirimart d’Istanbul présentait une œuvre de Nasan Tur. Intitulée Place of Resistance (« place de la résistance »), cette photographie de la place Taksim d’Istanbul, lieu de manifestation politique, notamment des partis de gauche, a été pliée, repliée et dépliée – habile moyen de rappeler que la mémoire collective est capable de redonner vie à ce qui a disparu.
Cette manière de procéder n’est pas propre aux artistes turcs, elle est adoptée par tous ceux contraints par des régimes autoritaires. Gowen Contemporary (Genève) présentait une exposition personnelle des dernières créations de l’artiste pakistanais Waseem Ahmed issues de sa résidence d’artiste en Turquie. Ses grandes peintures sur céramique, parfois éclaboussées de sang, donnent à voir tantôt un couteau, tantôt des personnages sombres ou des femmes portant la burqa. L’esthétique sophistiquée n’en est pas moins engagée, puisque l’artiste questionne la place des femmes et affirme une volonté de combattre les extrêmes, deux sujets brûlants aussi bien en Turquie qu’au Pakistan.
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Contemporary Istanbul cherche sa voie sous la censure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°529 du 20 septembre 2019, avec le titre suivant : Contemporary Istanbul cherche sa voie sous la censure