Ils ont pris le nom de leur auteur, haut fonctionnaire, parlementaire ou professionnel, et s’appellent Aicardi, Chandernagor, Deydier, Douyère, Gaillard, Lellouche… Les rapports sur le marché de l’art se sont récemment multipliés,sans oublier les travaux d’organisations comme le Comité des galeries d’art (JdA n° 93, 19 novembre). Toutes ces études comportent de nombreuses propositions pour rendre notre marché plus compétitif. Voici une synthèse des principales propositions en matière de fiscalité, qui fait apparaître des convergences chez les rapporteurs.
Taxe forfaitaire : alignement et actualisation
Cette taxe appréhende les plus-values des particuliers réalisées lors de vente des métaux précieux, bijoux, œuvres d’art et objets de collection. Elle est calculée forfaitairement (d’où son nom) sur la base du prix de vente. Les vendeurs peuvent opter pour l’imposition sur la plus-value réelle. Elle ne concerne pas les ventes des non résidents et est donc relativement neutre par rapport aux échanges internationaux.
Dans son rapport, Raymond Douyère apporte des précisions importantes sur le produit de la taxe (268 millions en 1997) et sa ventilation. Il en ressort que 60 % (151 millions) proviennent de transactions sur les métaux précieux, 27 % (68 millions) des ventes aux enchères , 12 % (30 millions) des autres ventes et 6 % des exportations. Cette répartition semble relativement stable. Elle montre que l’harmonisation du taux, qui ne concernera pas les métaux précieux, n’aura que peu d’effet sur les recettes publiques.
Les différents rapports proposent :
- l’alignement du taux normal (7 %) sur le taux en ventes publiques (4,5 %) pour les bijoux, objets d’art de collection et d’antiquité (taux à majorer de 0,5 % de RDS) a été demandé par Yann Gaillard, Raymond Douyère et Pierre Lellouche. Cette demande a été acceptée et figure dans la loi de finances, avec effet au 1er janvier 2000.
- l’actualisation du seuil d’application de la taxe forfaitaire, resté inchangé à 20 000 francs depuis 1976 : Yann Gaillard propose 60 000 francs, Pierre Lellouche 50 000 francs et Raymond Douyère 100 000 francs.
TVA à l’importation : statu quo ou suppression
Le statu quo est proposé par Yann Gaillard et Raymond Douyère, mais accompagné d’une action pour s’assurer que la Grande-Bretagne respecte la fin de la dérogation (taux super réduit à 2,5 %) dont elle bénéficiait jusqu’à juin 1999. Yann Gaillard a signalé toutefois “les effets pervers du mécanisme de la TVA, qui freine les importations des collectionneurs et pousse à l’exportation pour les marchands”. Quant à Raymond Douyère, il relève que le produit budgétaire est faible (environ 40 millions), mais se prononce néanmoins pour son maintien du fait de l’alignement européen, et plus généralement parce qu’il “estime inutile et dommageable de modifier le système actuel sous peine de créer de nouvelles incertitudes fiscales, à l’heure où la pérennisation des dispositifs fiscaux apparaît comme la condition sine qua non de la stabilité de l’environnement économique des différents opérateurs”.
Seul Pierre Lellouche se prononce pour la suppression de la TVA à l’importation. Avant lui, André Chandernagor et Maurice Aicardi avaient proposé un front commun avec les Britanniques pour aligner le taux à l’importation à 2,5 %, voire en obtenir à terme la suppression.
Le Comité des galeries d’art souhaite que la TVA à l’importation soit maintenue pour la création contemporaine, mais avec un aménagement du dispositif de la marge permettant aux galeries de récupérer la TVA sur les importations ou les achats aux artistes (le dispositif de la 7e Directive interdit cette récupération, sauf à revenir au droit commun en soumettant la totalité du prix de vente à la TVA). Bien que les galeries d’art ne le proposent pas, un effet équivalent pourrait sans doute être obtenu par un aménagement (relevant seulement de la compétence de Bercy) qui étendrait le taux réduit à la première revente après achat ou importation d’œuvres contemporaines.
TVA sur la marge : fin de la dérogation allemande
Les rapports n’envisagent pas de changement, sinon de s’assurer que l’Allemagne respecte la fin de la dérogation – qu’elle semble avoir peu utilisée – lui permettant de taxer le prix total au taux réduit. Les galeries françaises d’art contemporain avaient proposé d’étendre au contraire la dérogation allemande à l’Union européenne. Cette proposition, de compétence européenne, remettrait en cause le système de la marge, généralisé en Europe après dix-huit ans de laborieuses négociations. Même si cela est actuellement écarté par les États membres et l’Union, peut-être serait-il plus judicieux de rechercher à terme le bénéfice du taux réduit pour toutes les transactions portant sur des œuvres d’artistes vivants ou récemment décédés (dans le dispositif d’exportation antérieur à 1993, la France incluait les œuvres d’artistes décédés depuis moins de vingt ans).
Dans son rapport, Raymond Douyère souligne que compte tenu de “l’extrême complexité” du système d’ensemble, “le système de la marge est un bon compromis, qui permet de concilier, dans la mesure du possible, les logiques de l’antiquaire et du galeriste”.
Taux réduit sur la restauration des œuvres d’art
Pierre Lellouche propose que, dans l’esprit des accords communautaires permettant d’appliquer le taux réduit aux services à forte intensité de main d’œuvre, soit étendu aux artisans d’art restaurateurs le bénéfice du taux réduit déjà accepté pour les travaux de rénovation de l’habitat, et que, au minimum, une étude d’impact soit réalisée sans délai. Des questions sur l’inclusion de certaines pièces au bénéfice du taux réduit (meubles de moins de 100 ans d’âge, manuscrits, objets d’ethnologie) restent également posées.
ISF : unanimité motivée pour le maintien de l’exonération
Pour des raisons d’efficacité et de risque de délocalisation, André Chandernagor avait demandé le maintien de l’exonération. Le rapport du Conseil des impôts, en 1998, avait relancé le débat pour en faire, selon l’expression de Yann Gaillard, “l’éternelle menace”. Pierre Lellouche demande un “signal politique clair en faveur de l’abandon de cette mesure”.
Lionel Jospin a déjà tranché en faveur du maintien de l’exonération, et Catherine Trautmann a rappelé cette position à plusieurs reprises. Le problème est évidemment de répondre à la fois à des arguments de réalisme (produits faibles, contrôle très difficile, risque de délocalisation ou d’élargissement de marché occulte au préjudice des droits de mutation...), mais également à caractère symbolique, voire idéologique. Comme la Constitution et les lois organiques garantissent le droit d’initiative parlementaire, on voit mal comment prévenir un débat récurrent, sauf par un effort pédagogique continu.
Dans ce sens, la contribution de Raymond Douyère tente de fonder le débat sur une analyse des objectifs de l’ISF : moyen de discrimination des revenus, d’appréhension des facultés contributives et de contrôle des autres impôts, mais également des spécificités de l’œuvre d’art et des collectionneurs.
Reprenant les différents objectifs de l’ISF, il souligne :
- “Les œuvres d’art ne peuvent entrer dans la définition d’un capital productif de revenus, à moins que la détention d’œuvres d’art serve à des buts de spéculation. Dans ce cas, elle sera taxée au moment de la transaction”. Il rappelle à ce sujet que lors de l’adoption de l’impôt sur les grandes fortunes, en 1982, l’exonération des œuvres d’art avait été compensée par un doublement des taux de la taxe forfaitaire.
- “L’ISF a une fonction importante qui est de rentabiliser le capital [et donc] favorise une gestion plus productive des patrimoines. De ce point de vue, le caractère improductif des œuvres d’art ne semble pas en faire le meilleur placement”. Il est vrai que la plupart des études ou modèles comparatifs censés rendre compte à moyen ou long terme de la rentabilité des capitaux investis en œuvres d’art ne sont pas concluants sur ce point.
- Enfin, en matière de contrôle, il est clair que les œuvres d’art, plus que les autres biens, sont facilement dissimulables.
La question, pour Raymond Douyère, revient à concilier la justice fiscale sans pour autant décourager la constitution de collections privées, essentielle à la préservation et à l’enrichissement du patrimoine national, dont l’ensemble des rapports a souligné qu’il était également un objectif essentiel.
Dans son analyse, il note les spécificités de l’ œuvre d’art, qui “ne peut être appréhendée comme un bien ordinaire”, qui n’est pas consomptible, dont la valeur est fluctuante et dont l’acquisition “n’est pas forcément gouvernée par la volonté de réaliser une plus-value”. Il rappelle que dès l’origine de l’IGF et de l’ISF, le Législateur a expressément voulu “lier l’encouragement à la politique de création culturelle et le maintien du patrimoine français sur le territoire national à une taxation plus efficace sur les transactions d’œuvres d’art”. Comme avant lui le Conseil des impôts, il souligne les difficultés techniques d’évaluation (pour le contribuable comme pour le fisc) de contrôle (par l’administration), enfin le coût et le rendement incertain d’une extension de l’ISF aux œuvres d’art.
La rapport s’attache aussi au “caractère spécifique du collectionneur” pour évaluer “l’effet psychologique” d’une imposition qui, par son caractère déclaratif, imposerait au collectionneur d’inventorier pour le fisc “l’investissement affectif” que constitue le plus souvent l’acquisition d’une œuvre d’art, la relation “intime” qui s’établit entre lui et l’œuvre et qui justifie son engagement, alors que “les fluctuations du marché de l’art sont telles que le placement dans une œuvre d’art est extrêmement risqué”.
Complétant son approche, Raymond Douyère souligne que “la possession d’œuvres d’art n’est pas assimilable de manière automatique à la possession de très grandes fortunes (...). La communauté des propriétaires d’œuvres d’art en France comprend un grand nombre de personnes qui possèdent des œuvres d’art du fait d’héritages, et ce depuis des générations”. Il en conclut que “le risque de création d’un marché clandestin n’est pas à écarter (...) transactions entre particuliers, courtage mondain, où prolifèrent les faux et les œuvres volées, se développeraient”.
En ce qui concerne “la réappropriation démocratique des œuvres d’art”, objectifs de certains partisans de l’ISF, elle se fait spontanément : “Les collections nationales conservées dans les musées [sont] constituées pour l’essentiel des dons, legs et dations réalisées par des collectionneurs privés”. En ce qui concerne l’art contemporain, “les collections privées permettent de soutenir la création et, à terme, drainent des œuvres vers les institutions publiques. Elles contribuent par ce fait à l’enrichissement du patrimoine futur”.
À partir de ces considérations, le rapport conclut qu’il serait “inutile et dangereux pour la préservation de notre patrimoine et pour le développement de la création d’inclure les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF”.
Droit de suite : échec du dernier compromis
Les dernières propositions soumises au Conseil “Marché intérieur” de l’Union européenne le 21 juin 1999, puis au Conseil des représentants le 1er octobre, comportaient divers assouplissements tendant à obtenir l’adhésion des États réticents :
- possibilité d’exonérer la première revente lorsque l’œuvre a été acquise de l’artiste depuis moins de trois ans et dans la limite d’un prix de 10 000 euros, ce seuil constituant un encouragement pour les galeries qui font la promotion des jeunes artistes.
- la dégressivité du taux applicable serait de 4 % de 2 000 à 50 000 euros (les États pouvant fixer pour cette tranche un taux de 5 %) ; 3 % entre 50 000 et 200 000 euros ; 1 % de 200 000 à 350 000 euros ; 0,5 % de 350 000 à 500 000 euros, et 0 % pour les œuvres de plus de 500 000 euros.
- seuil de taxation à 2 000 euros minimum, les États pouvant fixer un seuil inférieur.
Ce dernier compromis n’a pu être adopté à Bruxelles en octobre.
Droit de reproduction : fin de la discrimination
Après les arrêts de la Cour de cassation de 1991 et 1993, qui avaient clairement soumis les reproductions d’œuvres dans les catalogues de ventes publiques au droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle a été modifié par la loi du 27 mars 1997 (art. 17) pour en exonérer les commissaires-priseurs. Le libellé de cette exception législative, qui ne s’applique qu’aux officiers ministériels, fait que faute de nouvelle modification, les catalogues des maisons de vente seront à nouveau soumis au droit de reproduction après l’adoption du changement de statut des commissaires-priseurs français. Yann Gaillard, relevant que l’ADAGP, qui perçoit ce droit en France, “a clairement fait savoir qu’elle ne revendiquait pas le paiement de ce droit pour les publications des opérateurs payant le droit de suite en France”, signale que cela “mettra fin à la discrimination dont pâtissent les galeries d’art, tout en laissant subsister un problème de charge pour l’ensemble du marché français”. Pierre Lellouche souhaite la fin de la discrimination et, “au surplus, que ce droit ne s’applique désormais qu’aux documents concernant des œuvres qui ne sont pas destinées à la vente”.
Globalement, subsistent d’assez nombreuses convergences, qui restent à mettre en musique, législative ou réglementaire.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Comment rendre le marché français plus compétitif
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : Comment rendre le marché français plus compétitif