La vente aux enchères de l’immatériel, au Palais de Tokyo, rappelle que collectionner c’est aussi rechercher des moments de grâce.
Passer quelques heures en compagnie de Xavier Veilhan pour 4500 euros ? C’est l’une des adjudications à laquelle a donné lieu la vente aux enchères d’un genre un peu particulier qui s’est tenue le 15 octobre dernier au Palais de Tokyo. On pouvait y acquérir des lots tels qu’une visite des réserves de la Fondation Pierre Bergé en compagnie de son propriétaire ; un week-end, petit-déjeuner préparé par l’artiste inclus, dans le château de Wim Delvoye, à Gand ; un cours de dessin avec Fabrice Hyber ; une virée en Ferrari sur le périph’, de minuit à minuit et demi, aux côtés de Bertrand Lavier ; ou encore donc, un tour à bord du RAL5015, véritable « sculpture nautique » dessinée par Xavier Veilhan, suivi d’un déjeuner préparé par ses soins dans son atelier.
Vivre une « expérience »
Organisée à l’initiative de Sandra Mulliez, membre du comité d’orientation du Palais de Tokyo et cofondatrice de la fondation Sam Art Project, cette vente aux enchères au bénéfice de l’institution a réuni près de cinq cents personnes, simples curieux ou amateurs, qui ont pu enchérir sur vingt-cinq lots, pour un montant total de 88 600 euros. « Cette vente aux enchères atypique a proposé l’acquisition d’un moment unique, éphémère mais précieux, dont la valeur incomparable tient à la qualité de l’expérience qu’il donne à vivre et à la personnalité impliquée […], une expérience hors norme à partager avec l’acquéreur sous la forme d’un don de soi de l’artiste. Autant de lots immatériels à la gloire de l’instant », peut-on lire dans le communiqué de presse.
« Les artistes sont très contents de participer à cette vente », assure Sandra Mulliez. Elle-même collectionneuse, elle confie volontiers le plaisir qu’elle prend, à travers sa fondation Sam Art Project, « à donner (s)on argent pour vivre des choses avec les artistes : je trouve ça tellement génial, je gagne tellement à échanger avec eux, je me suis dit que grâce à cette vente d’autres pourront aussi vivre cela, un happening, quelque chose que personne ne peut vous enlever. Une expérience. »
Tommaso Setari, interrogé sur le sens de sa collection constituée avec sa femme Giuliana, et dont une partie est exposée jusqu’au 13 janvier à La Maison rouge, ne dit pas autre chose : « J’ai collectionné pour des idées et pour la qualité de vie d’une valeur inestimable que m’apportent les artistes et leurs œuvres. Sur un plan personnel, il est essentiel d’avoir eu l’opportunité de rencontrer des hommes et des femmes extraordinaires et d’avoir partagé cette expérience avec mon épouse. » Tout comme Nathalie Vranken, qui a lancé il y a dix ans avec son époux Paul-François « Experience Pommery » dans les caves rachetées par le couple à LVMH, et qui accorde elle aussi une valeur toute particulière aux moments qu’elle passe auprès des artistes pour produire chacune de ses expositions : « Je n’aime pas quand les artistes traitent par email ou par fax, j’aime le contact direct. C’est très enrichissant. »
500 nuits dans un lieu inédit
Cela paraît évident. Pour un véritable collectionneur, l’aventure de sa collection est inséparable des œuvres d’art qu’il acquiert. De là à faire de ce concept d’« expérience » une alternative à la possession pure et simple… Il suffit parfois de « quelques secondes ou quelques heures pour faire basculer une vie », si l’on en croit l’argument de la vente immatérielle du Palais de Tokyo. Le concept d’« expérience », depuis quelque temps à la mode dans le discours publicitaire – pas une marque qui n’aspire à en faire vivre une au consommateur –, a-t-il de beaux jours devant lui dans le domaine de l’art ?
Avec leur projet l140 (www.l140.fr), Anji Dinh Van, Melissa Epaminondi et Sophie Vigourous, ont elles aussi parié sur la valeur de l’instant vécu. Entre art et architecture, l140 propose d’expérimenter « un lieu inédit construit sur mesure par des artistes contemporains ».
« Nous avons produit cinq cents coffrets numérotés et signés de 1 à 500 », explique Sophie Vigourous. Chaque coffret comprend un certificat d’authenticité, trois catalogues avec des textes de critiques, des images du chantier et du projet, une présentation des différents artistes, écrivains ou galeristes invités, enfin un recueil d’interviews de personnes répondant à la question « Quel serait l’hôtel idéal pour vous ? » Une centaine de ces coffrets, portant la mention «DRESSED», contiennent également une panoplie de nuit : T-shirts, masques de sommeil et chaussons, (« Home made with love ! »). Chaque coffret comporte enfin un laisser-passer pour une nuit, ou quelques heures, dans un lieu, à Montmartre, dont Peter Saville (ex-directeur artistique du groupe Joy Division) a réalisé le logo, et Carsten Nicolai la bande-son.
Dans cet espace minimal et plein de poésie, François Baschet a installé un évier sonore, la galerie Philippe Jousse un dance floor silencieux, et on regarde à l’étage, grâce à un dispositif d’Ange Leccia, des DVD sélectionnés par le cinéaste Apichatpong Weerasethakul (Palme d’Or en 2010) installés sur des poufs signés de la designer Florence Doléac… En guise de room service, un panier relié par des filins suspendus au bar d’en face, où il suffit de glisser un billet en échange d’une bouteille ou d’un jambon-beurre. Quant au nom, l140, de cette « édition de 500 nuits », il fait directement allusion à la configuration du lieu, confortable malgré une largeur de 1,40 mètre. Une véritable performance artistique.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Collectionner aussi des « instants »